l’espace l’enthousiasme / siasma

 

 

la fleur rouge vermillon
vermillon !
seule en bas du petit rosier le plus petit !
vermillon tenace, têtue !

(les) questions (sont) hétérogènes
(il est bon de) les poser
– sur l’étagère ? –

vermillon —> verbe vermillonner
stupeur & chatoiement
transitif taffetas bruissant

le vieux chant du vermillon
– pigment de cinabre –
colore le sang le plus frais
de la rose tenace

un calcul de centimètres
permet d’exactement caler
l’objet rare dessus l’étagère

comment (ne pas) se poser la question
lorsqu’elle est mal placée ?
—> arranger l’étagère

la question tenace dura
comme une rose vermillon
la plus petite seule en bas, étonnante.

                  « A french man in New York » de Stéphane Kossmann (Exposition de photographies, Fondation Carzou, Manosque, été 2023)

 

• liste triste sans émotion avec moteur

 

 

 

il n’y a rien nulle part
il n’y a pas de nulle part
on se réfugie ailleurs
l’ailleurs se dérobe
le rien résolu demeure
on le regarde en face
on le nargue
le rien donne le change
avec ses lunettes de soleil
attablé en terrasse
le rien se pavane
le rien nulle part est un faux
il n’y a pas de nulle part
le rien se contredit
derrière lui un autre rien ricane
on ne sait plus lequel est le vrai
on coupe les phrases à la hache
on en dissèque les cadavres
on cherche l’adverbe manquant

 

quand soudain une moto vrombit.

Peinture murale : figure féminine, vers 100-150 ap. J.-C.  (provenance : environs de Rome)

< des conditions ordinaires >

 

 

en d’autres langues
s’entrechoquent
tant de personnages

 

cueille des mûres mûres
le long du chemin
sa bouche en sera noire

sac au bout du bras
jettera ses bouteilles
dans le conteneur adéquat

 

tant de personnages
au pied de leur mur
n’imaginent pas d’autre vie

catapulte des siècles
ombres encore portées
sur ces vieux pays frottés

 

marche en ballerines
comme une comtesse
l’herbe à peine foulée

marche sans but
dans le village mort
s’assoit au cimetière

la plaine vers la rivière
comme un décor
ou une chute.

                                                                                                                                                     – Ford Mustang 1966 –

 

 

“toutes proportions gardées”

 

 

comment se souvenir de ce qu’on dit
de ce qu’on fait ?
comment se souvenir ?
comment se souvenir des mots
des choses qui sont derrière les mots ?
des gens qui habitent les mots ?

comment se souvenir des mots ?

il fut question du temps
il y avait même des réserves de mots
des caves entières
des grimoires et des locuteurs
et du temps
un mot si lointain si imprécis si fragile

on retrouva même la page où il apparut :

Le temps, dit-il dans le cabinet aux étoiles de Greenwich, le temps était de toutes nos inventions de loin la plus artificielle et, lié aux étoiles tournant autour de leur axe, il n’était pas moins arbitraire que s’il eût été calculé à partir des cernes de croissance des arbres ou de la durée que met un calcaire à se désagréger ; sans compter que le jour solaire auquel nous nous référions ne fournissait pas de repère précis et que pour mesurer le temps il nous fallait avoir recours à un soleil moyen, imaginaire, dont la vitesse de déplacement ne varierait pas et qui dans son orbite ne serait pas incliné vers l’équateur.*

il y avait bien trop de mots
et certains étaient soulignés
et dans la marge était inscrit “le temps”
comme une fébrile redondance
une périlleuse extraction du jus du sens
et il fut préférable d’inscrire
“toutes proportions gardées” à la place
et ce fut fait.

* W.G. Sebald, Austerlitz, traduit de l’allemand par Patrick Charbonneau, Actes Sud, 2002

les mots dorment quelque part

 

 

 

il est 8h22 comme il est courant qu’il soit une heure et pas une autre

depuis 8h02 quelques minutes sont passées, vingt exactement

depuis 9h22 qu’il n’est pas encore, d’autres minutes attendent

il est 9h20 mais déjà plus

 

ils sont trois dont un crayon gris glissé entre deux pages

les deux autres, un noir et un rouge, délivrent de l’encre

le noir sert à griffonner sur le rouge

le rouge barre souvent le noir

bref c’est la bagarre sur la page de bloc

sur un plateau, un gris d’encre repose sur son bouton-poussoir

lassé d’attendre qu’une main le prenne

son encre trop pâle ne séduit plus,

trop sympathique pour être honnête

 

entre les deux pages du cahier le crayon gris a tracé

je n’y comprends toujours rien mais je peux lire

c’est un livre avec des images en noir et blanc

un livre dont les mots dorment quelque part…

 

 

 

< un collier bleu de perles >

 

 

les vies fragiles
près de la marche de l’escalier
la première marche
ses pieds aériens
une silhouette se retourne

les vies fragiles
ses mains attrapent
un collier bleu de perles
égrènent le bleu des vies
le posent sur du jaune

les vies fragiles
près de l’évier
ses yeux dans le vague
détaillent le parfum
du gris dehors

les vies fragiles
un cinéma les aurait filmées
leurs vapeurs de déplacements
leurs silences obstinés
aux fenêtres du temps

chu sur une table jaune
un collier bleu de perles
des vies fragiles
dit leur fin possible
l’échéance sans retour