C’est le lieu d’une ville, souvent central, avec des employés, qu’on pourrait bientôt apercevoir pour peu qu’on mette les pieds sur les marches. C’est ce que fait Marie : elle monte. Plutôt précipitamment et sans trébucher. Pénètre dans la mairie, au rez-de-chaussée. Derrière l’imposant comptoir, haut et large, recouvert d’un matériau imitation cuir orangé, deux bustes de femmes attendent et disent bonjour, l’une après l’autre. Deux employées de mairie auxquelles Marie rend le bonjour, mais à peine audible, et tout de suite : une brève enfilée de mots qui se termine par clés.
Les deux bustes de femmes surmontés de visages se regardent, s’interrogent. Marie ne veut pas voir l’interrogation. S’énerve quasi instantanément. Elles devraient avoir compris. Clés, quoi, clés.
Interloquées, les deux femmes s’interrogent à nouveau du regard. Sous la banque, elles peuvent actionner le dispositif d’alarme relié au commissariat. Les directives ne sont pas claires sur les circonstances du déclenchement. Pour l’instant elles s’abstiennent.
Marie redevient calme après sa brève agitation. Rien ne se parle. Alors elle prononce :
– Je cherche le bureau du conseiller aux affaires.
– Le conseiller aux affaires ?
– Oui, il me semble que c’est ce que je viens de dire. Il n’est pas décédé au moins ?
– Nous aurions du mal à vous donner l’information : un tel conseiller ne figure pas sur nos listes.
– Ah. Pourtant c’est bien la fonction qu’on m’a donnée. Ce n’est pas grave. Donnez-moi l’heure je vous prie.
– Vous avez une grande horloge là, vous la voyez ?!
– Bien sûr que je la vois, et alors ?
– Alors il y a l’heure sur le cadran.
– Oui, mais ce n’est pas celle que je demande. Auriez-vous une autre heure que celle-ci ?
– Non.
– C’est embêtant. Il faut que je la donne à quelqu’un qui me l’a demandée.
– …
– Si le conseiller aux affaires n’est pas là, je dois donner une heure à quelqu’un.
– Mais enfin, vous la voyez, l’horloge, là ?
– L’horloge, je la vois, oui.
Le conseiller aux affaires absent n’arrange pas les siennes ; si elle en croit les employées, il n’existe pas. Il porte peut-être une autre dénomination, Conseiller aux us et coutumes ? Délégué aux inconvénients courants ? Comment savoir ? S’il n’est pas là, Marie doit trouver une heure à donner.
Marie a hésité avant d’entrer, à cause des complications prévisibles avec les employées. Elle a marché depuis le port, elle a regardé les engins du port, très hauts, les mâts des engins, les poulies, les couleurs, le bleu, le jaune. Elle les a regardés, surnaturels dans leur hauteur, et bien en équilibre sur leurs grosses pattes clouées au sol.
Elle s’est souvenue du nom ensuite. Le levage. Des engins de levage.
Sète (aussi bien Calais), 25 mai 2016