falbalas inhabitables & surprenants

 

le sens et l’ordre des mots
le sens et l’ordre du temps
l’ordre des choses et leur sens

le sens des plumes et des fleurs
le sens des roses et des jonquilles
le sens de la ligne droite

l’ordre des beautés insignifiantes
le sens des choses laides
le fard des vieilles dames

le silence et son écho
le silence inexistant
le silence qui criaille ou aboie

le sens et l’ordre des mots
l’ordre des mots
le sens de l’ordre.

[un renard bicolore et très intelligent, m’attendait sur une petite route,
et c’est au dernier moment qu’il a disparu dans les fourrés,
non sans m’avoir profondément interrogée de son regard de renard
– une seule lettre d’écart -]

                                                                      ……de quoi fabriquer une langue……

 

café fumant & balcony

 

 

à Sète un type
collectionne
les tapettes à mouches

j’en ai deux une blanche une bleue
j’en ai plein
pas des tapettes

y en a deux elles se coursent
au centre de la pièce
deux mouches

j’en ai plein la tête
des qui passent
des qui fument

pas des tapettes
des contextes
des circonstances

couleurs et formes
vieil avatar chéri
du collectionneur

couleurs et formes
qu’il collectionne
qu’il affectionne

les deux axes
de la tapette à mouches
et des qui fument

dans la tête j’en ai plein
ou deux
qui se coursent à Sète

ou des mouches
ou des contextes
j’en ai plein la tête.

                                                                                                    #backtothestreet, art mural, Paris 2022 (détail)

un vide dans la clé de fa

 

l’écartement entre les choses
se manifeste par l’écartement entre les tons
dans la voix
dans l’écartement sont liés quelques sons
qui font des phrases et des mélodies

tenter de les décrire or
ce qui est décrit va trop vite pour pouvoir être attrapé
les écartements entre les objets créent des intervalles
comme entre les cordes du violoncelle
dont on joue amoureusement

l’écart entre les choses et les cordes
l’écart entre les sons
la liaison des sons entre eux
si lente à se déterminer
produit un syntagme musical

l’écartement entre les choses posées
fait surgir le vide dont on se soutient
c’est à dire qu’on ne soutient rien
et qu’à tout moment on bascule
dans le vide des interstices

qu’il y faut beaucoup d’obstination pour occuper
les vides qu’on ne voit pas
on ne voit que les bornes
qui comme un pas japonais
font qu’on avance vers le fond du jardin.

Art et Language, Three Suprematist Squares, 1965  +  Sortie de secours,  Château de Montsoreau

notes sur “autrement”

 

[notes aveugles 11-31 octobre 2021]

Ma vie s’est arrêtée. À ce moment-là. Pile à ce moment-là.

Il a raconté ça et son regard s’est perdu dans les limbes, loin.
Qu’est-ce que tu voulais en déduire ?
Une vie qui continue longtemps, très longtemps.
Il est là devant moi il va bien ; il semble qu’il va bien.
Tu ne pouvais pas le croire ? Non, impossible.

Il nous a déjà fait le coup je ne sais pas combien de fois. Et pourtant.
Il n’a vécu aucune guerre (ça le travaille).
Oui, tu peux le dire : ça le travaille !

Pourquoi pas Dublin ? Pourquoi pas à Dublin ?
Quelle est cette idée de bateau traversant depuis le pays de Galles ?

Ce serait comme une visualisation, avec un cadrage.
Puis une inscription sur un écran. Exemple : le mot abandon.
Et des vagues arrivant de toutes parts, nous encerclant peu à peu.
Les mots sont nos alliés.

C’était cela Tonka. L’infini vous est donné parfois au compte-gouttes.

Robert Musil, Tonka, in Trois Femmes (publication originale, 1924).

 

subterfuge & vacillement

quelqu’un baisse la tête au matin.
quelqu’un se tait : c’est le moment matinal.

Il est recommandé d’utiliser : subterfuge, couverture, mensonge, excuse, etc.
Le degré de confiance à accorder aux sources périphériques sera très variable d’une source à l’autre.
Il sera tributaire des facteurs motivants (exemples : la vénalité, l’ambition, la vengeance, le sexe, la vanité et son corollaire, le désir de paraître, etc.) et des moyens de tenue en main.*

ce qui tombe ne se relève pas,
dans un régime
de destruction des connaissances.

les couleurs coulent, bien sûr

il n’y avait pas de preuves, et pourtant
la coulure du coulé était à l’oeuvre.

ensuite on dispose, on bricole, on remue le petit doigt.

il n’y a pas de fin et ce sans fin
chagrine les humains.

cependant, mettre des points aux phrases
permet d’amortir le vacillement.

* Extrait d’un cours d’Ingénierie de l’intelligence économique,
à la toute fin du XXe siècle.

                                           Édouard Vuillard, Couverture de l’album Paysages et intérieurs, 1899 (détail).

un bout sur le blanc


et c’est blanc si on veut, blanc comme la vérité blanche
qu’ils disaient dire
ils disaient la vérité, mais ça n’a pas tenu

la vérité n’est pas vraie, elle est autre chose que vraie
elle se promène dans des bouches et fait de la vapeur
la vérité se vaporise

ainsi d’une disparition subite et sans spray
on ne sait pas où se forme le nuage ni quand il n’est plus là

blanc comme les oeufs blancs

ce n’est pas un truc sur le blanc pourtant
il s’en faudrait de beaucoup
et nous n’avons pas de beaucoup

reprendre le spray et vaporiser sur l’ensemble de la surface
se reculer et regarder l’effet
blanc chaulé si on veut

toute de blanc vêtue elle allait vers le zénith
fuyant dans la forêt poursuivie
sa robe s’accrochant dans les branches courbées

comme la neige ne tient plus, ni blanche

détail d’une affiche de rue mal collée (texte FEAR OF GOD)