incertitude sur la bêtise (de soi et du monde)

et donc alors, ils se mirent à parler
ils se mirent à parler, beaucoup trop

quelque chose tombe, sans arrêt

seul, l’être sous le plafonnier (l’être est seul sous le plafonnier)

______ et la littérature a fondu

je prends grande le monde

et puis l’Amérique inexistante, son cinéma

arrêté ce qui a chu, impossible

toute vérité à course folle _______
même pas nue sous le plafonnier froid

Vieille foreuse de langue

Elle me regarde lorsque je prononce le mot accélération, encore plus intensément que lorsque je prononçai le mot âme. Sûrement parce qu’âme est poétique alors qu’accélération non. Silencieusement, elle manifeste  son intransigeance là-bas, depuis son estrade.

J’interroge la poète, puisqu’elle ne peut pas l’interroger : elle ne peut que la violenter, la rembarrer, l’insulter. Je l’ai vue et entendue. On ne sait pas pourquoi mais elle ne supporte pas la poète. Je proposai de faire l’intercesseur. En tant qu’écrivain ou en tant que questionneur ?

La question ne s’est posée qu’une demi-seconde ; je pris le recueil de la poète. En effet, les mots y sont pauvres, mais tant pis, j’y vais. Je commence par un mot qui débute par a. Puis, un peu plus loin, je trouve le mot âme et fabrique une phrase interrogative qui lie les deux. Et sans attendre sa réponse, j’ajoute accélération, qui fait aussi partie des mots qu’elle emploie dans ses pages presque vides.

Voilà comment se passent les choses. Pendant ce temps, deux ou trois autres poètes attendent qu’on s’occupe d’elles. Toutes ces filles ont fait des recueils inutiles, elles écrivent mal. Comme des pieds. C’est ce qui l’a énervée, elle, là-bas, sur son estrade.

Elle dit qu’elle travaille la nuit. À soixante-dix ans passés, elle travaille encore la nuit, sur la langue des autres, elle fore la langue sans répit. Elle n’a que faire de l’âme ; elle travaille pour l’accélération continue du monde capitalistique. Dur, elle travaille dur. Pour le premier mot qui commence par a dans le poème : argent.
                                                                         Willem Bastiaan Tholen, Devant la fenêtre, Ewijkshoeve, 1894

11:48 impermanence des natures mortes

clémentines à feuilles, deux, pommes, deux, tomates, deux
flétrissement conjugué, surprise des pourrissements subits


pain, montre, chapeau, placard, CLAC


[ciel loin sur le château, oiseaux décrivant de vastes courbes inutiles]


banlieue de Londres, lit étroit, dispute, CRI


[bruit de l’horloge de pacotille réfléchi par le vide de meubles, mort jouée]


pages tournées, fauteuil, lampe, dé à coudre


[souffle du vent dans les branches, souffle soupçonné, chaleur d’un ICI]


à la même heure, esthétique des lumières


[limites du voir, de l’entendre, mur des sensations échouées, englouties]

 

disposition des meubles, place du compotier, position des fruits
occupation de l’espace, couleurs, vie, petites choses, GLING

                                       dessin de cahier avec jambages, Bordeaux, 17 décembre 1978

 

à la brasserie du rugby (rédaction)

un homme mange des oeufs durs mayo
et regarde son ordinateur
(regardant son ordinateur, le lisant ? pourquoi pas ?)

la brasserie est déserte, non qu’il soit tard
(pas complètement déserte)
l’homme se régale
(comment trouver un autre verbe, et la petite fille de suçoter son stylo)

au milieu de la pièce (pièce ?)
se trouvent deux autres mangeurs, un homme et une femme
sur les murs, des écrans, l’un petit l’autre grand du double
où se déroule un match, le même
(est-ce si important, madame, que le match se déroule ?)

étonnamment déserte, la brasserie
la serveuse passe en souriant et dit : c’est la grève
(mais enfin, la grève n’a pas commencé ?)
oui mais les gens ne sont pas sortis
(ni rentrés ni sortis ? enfuis ?)

ils ont choisi le milieu mathématique
pour s’installer (tu es sûre qu’ils s’installent ?)
ils ont choisi le milieu de la salle (mieux que pièce)
ils ont clamé : tant qu’à faire, autant le milieu !

et les oeufs durs mayo ?
la femme a regardé l’homme au fond et lui a lancé
ah ! c’est bon les oeufs mayo !
l’homme avec qui elle était s’est retourné
tout le monde a pu constater (constater ?)
à quel point les oeufs mayo dans une brasserie déserte
focalisent l’attention (oui, enfin, éviter les clichés)

et le match ? de foot à la brasserie du rugby
(c’est comme ça et c’est pas plus mal)

saisissez le titre

le mot le nom
le mot le titre le nom
le nom le titre
le mot

le mot le nom quelqu’un
le nom le titre
quelqu’un

le mot le nom
le nom personne

personne

{il n’y a pas de phrase simple} + 1 [hyp.]

rien n’est simple, ni le mot ni l’homme ni le poisson

de nombreux mots se glissent comme des poissons
sous les ceintures abdominales et dévorent les organes
de la raison ; car la raison est un poisson intérieur

les mots au fond des bouches qui font plop à la sortie,
les mots à la surface comme quand on fait le poisson,
s’exercent à avoir raison de la raison
c’est la chose la plus forte – la plus forte (répète l’écho) –

*

je descends à S. pour écrire un mot
je ne m’appelle pas mon ami Pierrot
bien sûr que non ; devant le miroir
je fais le poisson que je ne mange pas

je descends à S. pour écrire un mot
et rencontrer le poisson que je ne suis pas
la solution que je mangerais violemment

la violence n’est jamais une solution, le poisson peut-être

la théorie de l’évolution n’est pas seulement
l’histoire de l’humanité mais aussi l’aspiration
à ce que l’être évolue tout au long de sa vie
or l’être peut revenir en arrière, redevenir poisson
[hyp.]