J’achète des carottes.
Dans le frigo, elles font de l’eau.
Il m’est insupportable de les voir faire de l’eau, alors qu’elles sont dans un sachet en papier.
Elles faisaient de l’eau sans sachet.
J’ai essayé le sachet, mais c’est pareil.
Les carottes font inéluctablement de l’eau.
Je les oublie.
J’oublie ces carottes aqueuses.
Parfois je me lamente de l’eau dans le bac à légumes.
Je tourne le sachet pour changer.
Elles font de l’eau de l’autre côté.
Le jour est venu de manger les carottes.
Il faut attendre le jour, et c’est le problème : en attendant le jour, les carottes font de l’eau.
Avant ce jour, je les avais sorties, pour ne plus voir l’eau.
Sur le plateau où je les avais placées, je les vois soudain : très diminuées, atrocement amaigries.
Les carottes ont rétréci, considérablement.
C’est triste.
Je les prends : elles sont molles, affreusement molles.
Je les épluche avec un économe, difficilement, elles sont si molles qu’elles se plient avec l’économe.
Qu’il est difficile de leur ôter la peau, mais je m’y applique.
Je les coupe en morceaux : mous.
Les carottes sont coupées.
Il y a peu à manger.
C’est ainsi, il fallait en prendre soin, vous n’aurez rien d’autre à manger.
Beaucoup plus tard, cuites, réduites : d’un orange foncé.
Les morceaux de carottes brillent sous le beurre et le citron.
Le peu secrète du bon, de l’élégant, de l’orange insolent.