« en fait, tout dépend de ta mort »

 

 

le temps que je meurs je le décide
j’ai mouru et renu rené
j’ai mouru un peu, je me suis arrêtée au bord de la route
c’est déjà trop long
je me suis
et j’ai mouru
il n’y a pas en face de mouru, vivu
pourtant j’ai vivu aussi bien

c’était sur ce trottoir, j’ai disparu
oui, il y avait bien soudain, cet adverbe inutile
il y avait mais dans un autre endroit
bref, à l’endroit de j’ai mouru
quelques arbres à papillons
j’ai senti une branche en me penchant
il n’y a pas de puis non plus, ni puis, ni ensuite

j’ai mouru parce que je l’ai voulu
mouru quelques instants
mouru un peu
mouru renu rené
ils m’ont demandé : mais la question de la renaissance ?
c’est une question ancienne
gênante aussi si on lui met une capitale
je ne veux penser à rien d’autre qu’à ça
au premier geste si vivant, sans retour nécessaire

la branche de l’arbre sentait l’odeur adéquate
il fallut encore laisser tomber les personnages, tous
aucun personnage ne devait rester
tous, même avec des yeux bleus des cheveux roux
rien ne devait rester
je dois pouvoir mourir un peu et
sans autre verbe mais pourtant

j’ai pris des notes sur le projet
en buvant une bière au soleil sur une chaise rouge
c’était mieux que de l’expliquer
et de devoir répondre à des questions sans réponse
j’ai repris mes notes sans ensuite ni soudain
il y eut un peu de marche en vain
et en effet j’ai disparu dans le trajet
qui menait au métro
puis j’ai pris le métro
j’avais mouru en sentant l’odeur d’un buddleia.

un crayon tombé par terre et roulant –

 

 

que faut-il, hein ? que faut-il ?
il y aurait du neuf, du tout à fait neuf : quasi du sensationnel

mais : pas de conditionnel – pas d’existence du si –
parce qu’en réalité le si n’existe pas

c’est un ARTEFACT
écrit très gros en vitrine des usages au blanc de Meudon

l’introductif SI n’a pas sa place
il s’est rangé des voitures ou bien il circule à une vitesse

TELLE qu’on ne le distingue plus –
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la chute du crayon fut inéluctable
et roulant disparaissant sous un meuble

ainsi Freud en tira quelque chose
pour le tout petit enfant (une autre histoire)

mais quel meuble ? quel meuble absorba le crayon ?
aucune sorte d’action n’existe sans un geste

le départ soit du crayon soit du SI soit du véhicule
fulgurant de sa fulgurance sans limite

ce triple départ fut remarquable & simultané
bien qu’ALTERNATIF (comme le courant)

 

comment tuer un livre par son résumé

 

Dublin (ter)

 

Il ne reste presque rien de leur promenade dans Dublin.

L’achèvement de la bipolarité mondiale laissera le monde monde : unique. Un seul monde accouche de la mondialisation du monde. Fin des ennemis. Eux vont faire un enfant l’année prochaine. Ne le savent pas encore. Un peu des ennemis comme ceux qui s’aiment ; s’unir pour procréer un être unique.

Le temps présent : Gabrielle et Luca sur le pont supérieur du ferry, accoudés au bastingage. S’ennuient. Les années 80, vaste désert d’ennui. Avant la déflagration berlinoise qui préfigure l’enfant. Un mur tombera.

< des conditions ordinaires >

 

 

en d’autres langues
s’entrechoquent
tant de personnages

 

cueille des mûres mûres
le long du chemin
sa bouche en sera noire

sac au bout du bras
jettera ses bouteilles
dans le conteneur adéquat

 

tant de personnages
au pied de leur mur
n’imaginent pas d’autre vie

catapulte des siècles
ombres encore portées
sur ces vieux pays frottés

 

marche en ballerines
comme une comtesse
l’herbe à peine foulée

marche sans but
dans le village mort
s’assoit au cimetière

la plaine vers la rivière
comme un décor
ou une chute.

                                                                                                                                                     – Ford Mustang 1966 –

 

 

homme, femme, fleurs, réflexion(s)

 

 

l’homme qui s’occupe des fleurs
enlève les pétales fanés tout en parlant
avec une vieille femme
tout en répondant à ses questions
la vieille femme pose des questions précises

l’homme qui s’occupe des fleurs
a la peau bronzée
on n’en saura pas plus
bien sûr qu’on en saura plus
il répond à la vieille femme très précisément

toutes les questions de la vieille femme
sont prises en compte toutes
elle réfléchit et dit encore
et ces fleurs pourquoi sont-elles en feuilles
parce qu’il arrive qu’elles soient dérangées

les fleurs peuvent mettre du temps à arriver
elles ne se trouvent pas bien là où elles sont
elles réfléchissent alors
oui il suffit d’un mètre même pas
et tout change et elles fleurissent

la vieille femme semble perplexe
elle a vu le teint hâlé les yeux noirs
de l’homme qui ôte les pétales fanés
un à un de larges pétales roses
tout en répondant à ses questions précises

longtemps après elle se souvient
du teint de l’homme et de ses yeux noirs
plus que de ses réponses
elle l’a regardé comme elle regardait les hommes
il y a si longtemps quand ils réfléchissaient

qu’elle ne s’intéressait ni aux fleurs ni aux oiseaux
mais seulement à la force des hommes
à leur musculature à leur odeur à leurs bras
peu importait ce qu’ils prenaient dans leurs bras
pourvu que ce fût elle.

 

*

 

j’ai ensuite demandé à ChatGPT :
– tu peux écrire un texte poétique sur « l’homme qui s’occupe des fleurs » (titre initial de mon texte) ?
voici sa réponse : un poème, également composé de sept strophes, bizarrement,
mais en quatrains (vs ma composition en quintils libres)

Dans un jardin secret, là où les douces brises murmurent,
Un homme bienveillant s’occupe des fleurs avec ferveur.
Tel un artiste, il danse parmi les parterres colorés,
Son amour pour la nature en chaque geste sublimé.

Tel un orchestre invisible, ses doigts habiles jouent,
Une symphonie florale dont les pétales s’épousent.
Il comprend les secrets de chaque plante et de chaque graine,
Les caressant avec délicatesse, sans peine.

Il connaît les cycles de la vie, les saisons qui s’enchaînent,
Des bourgeons fragiles aux fleurs qui se déchaînent.
Avec tendresse, il leur offre l’eau et la lumière,
Veillant sur leur épanouissement, leur destinée éphémère.

Il est l’âme qui donne vie à ce jardin enchanté,
Ses mains, telles des baguettes, sont habitées d’une magie.
Chaque bourgeon qui s’éveille est une note de bonheur,
Éveillant les sens, éblouissant les cœurs.

L’homme qui s’occupe des fleurs, gardien de cet éden,
N’est-il pas un poète, un jardinier de l’infini ?
Dans chaque pétale, il contemple la beauté du monde,
Et son amour pour la nature ne fait que grandir en onde.

Ainsi, cet homme, humble messager de la terre,
Donne voix à l’expression d’un amour solidaire.
Dans son jardin secret, il révèle une vérité précieuse,
Que l’harmonie avec la nature est un trésor merveilleux.

Alors, saluons cet homme, ce gardien des fleurs,
Qui, par sa passion, embellit notre existence en couleurs.
Son amour pour la nature, un cadeau à préserver,
Pour que ce jardin de la vie continue à prospérer.

Oeuvre de Patrick Renaud, photographe contemporain. Son site (partagé avec Marie Combes) pour un aperçu de leurs nombreuses séries : COMBES & RENAUD 

diminution des capacités I et II

 

 

I – l’homme papa

 

cette : perdition
ce : tournoiement de mots impuissants
dans les : pensées tournantes
volantes : qui circulent et tournoient
de gauche : à droite
sans jamais : se poser

l’homme papa : dans un couloir errant
dans ce couloir : chambres avec numéros
sa chambre : perdue
le numéro : perdu
juif errant : homme pleurant
papa perdu : volutes de pensées instables

le couloir : sépare et conjoint
les chambres : paires et impaires
l’homme papa : dans la chambre paire
pas la sienne : pas à soi
ne retrouve plus : l’impaire
sa chambre : monde disparu

monde dans lequel : comment être ?

 

II – la femme maman

 

dans le couloir : tenter de remarcher
lentement : un pas après l’autre
s’appuyer : sur le mur
se hisser : hors du fauteuil roulant
sans le bras gauche : mort
avec la canne : quadripode

la femme maman : hémiplégique
dans le souci de : l’homme papa
de l’autre côté : du couloir
elle dans sa chambre paire : lui venant
sans cesse revenant : dans sa chambre
sans cesse : cherchant quelque chose

le couloir : leur vie
l’homme papa : chercher
la femme maman : marcher
c’est pas une vie : le couloir
c’est pas une vie : les chambres à numéros
c’est pas une vie : leur vie

monde dans lequel : désêtre ?

[& même s’il y a un jardin, des visites, des amis, des enfants, des couleurs, du soleil…]

 

                                       © Jérôme Borel, Sur le carreau (peinture acrylique, 160 x 200 cm), 2021 (détail)