méthode : lecture de tomates

hier j’ai vu des tomates dans un jardin
des tomates grosses et rouges, d’autres vertes
je manquais de tomates, je voulais quelques tomates.
la dame dans le jardin du bord du pont en réparation,
la dame habite là, le monsieur aussi,
il sortait de sa maison, gros, un gros monsieur,
mais pas plus gros que n’importe quel gros monsieur comme il y en a plein,
la dame je ne l’ai pas vue je l’ai entendue, derrière le buisson de tomates derrière le grillage qui les protégeait.
j’ai fait quelques pas, je suis revenue, repartie,
l’ombre difficile à trouver me faisait hésiter, je ne pouvais pas demander à la dame les tomates : elle restait cachée,
et le gros monsieur qui sortait là-bas de la maison était trop loin
j’ai encore regardé le pont en chantier, un très grand pont particulier comme il n’en existe plus, un monument à regarder
et puis je suis repartie, cette fois pour de bon, sans tomates.

dans ma tête, il y avait à la fois des tomates et de la confusion de pont,
je ne voulais ni pont rouge ni pont vert : le pont était recouvert d’un linge blanc brillant
je devais chercher l’ombre, je constatais que rien ne remplace l’ombre.
ce constat, je l’ai ensuite réitéré plus loin,
j’ai traversé un paysage très plat, jaune sec, sans ombre.

les tomates n’étaient pas obligatoires, mais ç’aurait été mieux,
ç’aurait été mieux que j’aie quelques tomates,
si je n’en avais pas ce n’était pas grave, oui mais,
certaines sont vertes, elles sont peut-être dures
je suis repartie avec l’idée que peut-être ces tomates n’étaient pas bonnes,
alors que je pensais aussi le contraire.

canal vieux réserviste

Au bord du canal ils se prélassent, pêchent, se retournent au moindre bruit qui pourrait gêner le poisson. Chuts courroucés. Deux petits Noirs tout petits, des enfants très jeunes, jouent sur le milieu de l’écluse dans l’escalier de fer qui mène à la guérite de surveillance. Le pont tournant va laisser passer un bateau d’où un étranger ne comprend rien aux commentaires de la guide. Même s’il le voulait, même avec la meilleure volonté du monde, il ne comprendrait pas : la guide parle avec l’accent guide, sections de phrases mal coupées, français fatigué, chute intonative et relève en scoubidou.

Deux femmes passent à vélo ; derrière elles, de petits feux exhalent des matières enfumées non alimentaires, puantes. Ça vient chatouiller ses narines, l’étranger tourne vaguement la tête ; les petits Noirs rigolent et se poursuivent dans les marches en faisant des bruits métalliques avec leurs pieds. Le bateau attend que le pont tournant tourne. C’est un jour sans activité particulière, le temps est lent, les tours se penchent sur leur passé comme des coquelicots de bords de nationale d’avant.

Les deux femmes se sont arrêtées. Un vieux couple s’est également  arrêté devant le pont tournant en voie de tourner. Le mari de la dame échange quelques mots avec l’une des deux femmes, l’autre s’étant un peu avancée, d’ailleurs inutilement puisqu’elle doit maintenant attendre la fin de la conversation engagée avec le monsieur du couple et ça prend du temps, il n’entend pas bien, tandis que sa femme arrive à tout petits pas et elle aussi elle voudrait bien savoir. 
Il est question du pont, s’il va se soulever ou tourner pour laisser passer le bateau sur lequel l’étranger finira par être vraiment incommodé par l’odeur des petits feux là-bas.

Au fond, les tours, et de ce côté-ci, la vieille à très petits pas, modèle de vieille haricot sec imper beige-gris, sac années 60, un peu dure de la feuille, l’étranger sur le si lent bateau, les pêcheurs figés ; de l’autre côté de la rive, des grues et des stocks de ciment, des machines monumentales.

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Un vieux flic réserviste lui avait fait découvrir ce chemin, pratiquement en même temps qu’elle le découvrait au détour d’une phrase dans « La Clôture », de Jean Rolin : longeant le mur en brique de ce bâtiment de la préfecture qui a de faux airs d’abattoir.
Devant elle, au bâtiment de brique rouge, se superposaient les évocations du vieux flic, les filles et les bagarres au couteau sur le Boulevard Mac Donald, trente-quatre ans à faire son jogging le long du canal, jusqu’à Saint Denis…

Paris avait eu peur des jeunes des banlieues, et rappelé ses vieux flics à la retraite, en douce, sans rien dire. Les retraités étaient sortis de leur pêche à la ligne pour reprendre du service tellement ça chauffait.
On est deux pour garder le bâtiment, c’est la guerre, avait encore soupiré le vieux réserviste.

                                            (dans l’année 2006)