jour 2 – La domination du ça freudien avait éclaté : le chaos, marmite pleine d’émotions bouillonnantes, s’était répandu au-dehors et collectivement, en tous lieux, avec toutes sortes d’individus, dans des portions de temps prescrites, encore pour un temps, avant sa probable liquidité…
Les humeurs joyeuses se mélangent ; les rires se tressent ; les regards sont confiants. (A ce propos, VM, dont le Traité sur l’identité était paru en 1994 et qui n’avait pas eu le succès escompté, alors-même qu’il prédisait tout cela, oui, VM s’était tu). La joie même du malheur déferle dans des groupes aux contours flous, indéfinis, sans polarité autre que celle du moment, ici et maintenant, partagé.
L’ensemble des malheurs de la planète fait un tabac tel que ça finit par rendre les gens joyeux de le partager, ça. Les inquiétudes, surtout, oui, on s’inquiète, on s’exclame d’inquiétude, on partage : l’emploi ! la pollution ! tout ce plastique ! de la taille d’un continent ! les attentats ! ils décapitent des gens ! tu te rends compte ! Bien sûr, chacun se rend compte et ce rend compte rend inexplicablement joyeux : les exclamations fusent comme aux distributions de prix, encore ! ah ! bravo !
(VM n’a pas le visage morose sur son bout de terrasse, mais bien im-pa-ssi-ble, le visage qui sied à ceux qui sont revenus du bord ultime de la réflexion et qui s’abstient désormais de penser. L’indistinction des corps en marche devant lui, cette chair grotesque, il l’a entrevue il y a longtemps mais ne pensait pas qu’elle avait un rapport avec l’esprit. Il ne regardait pas tant les corps. L’esprit en confusion flotte au-dessus de la foule qui déambule parlant à rien.Ils ont perdu la parole. Les grappes d’humains se déploient dans les lieux où se donnent les nourritures et les boissons. Comme des enfançons, ils ouvrent la bouche mais ne parlent plus ; des flots inarticulés surgissent de leurs bouches attendant le remplissage.)
Il existe une joie réelle, une joie vraie, sinon elle n’existerait pas dans la langue. L’engagement – langage ment, mais ils en font fi – dans les malheurs de la planète se partage, frénétiquement, par tous : la surveillance commence, qui ne s’engage pas ? attention, Big Brother is watching you.
(En 1994, VM regorgeait de choix dans les concepts, alors il écrivait et remplissait des feuilles, toujours plus de feuilles, demandait à la patronne s’il n’avait plus assez de feuilles, demandait du papier, parfois des nappes en papier qui glissaient sous l’encre de son stylo-plume, fulminait, dessinait des schémas aussi, nombreux, grands, pertinents, les souillait parfois de vin rouge, les offrait à la va-vite).