la soeur du frère en mauve mou [XXIe siècle]

Le garçon d’en face, qui a largement dépassé la vingtaine d’années, sort sur le balcon de ses parents en pantoufles pour téléphoner ou fumer, parfois les deux en même temps.
Sa sœur fait la même chose, mais à l’étage supérieur, au balconnet d’une chambre de bonne, souvent en pantalon mauve mou, y compris s’il fait en-dessous de 0 degré.

Les enfants ne partent plus de chez leurs parents.

La sœur du frère est sortie sur son balconnet pour fumer sa clope. Et il fait en effet au-dessous de 0 degré. Elle porte des lunettes. Elle n’a pas mis son pantalon mauve mou, mais un informe jogging noir en fibre textile moderne un peu brillante qui transforme le noir en anthracite, systématiquement.
Elle s’assied sur le zinc et fume. Le soleil irradie les toits gris de bleu.

Le genre de temps à dire : un vrai beau froid d’hiver.

Après avoir fumé sur son balconnet, la fille en pantalon mauve mou est rentrée, probablement parce qu’il se met à pleuvoir. Tout est calme. Il n’est plus nécessaire d’ajouter des mots.
La soeur du frère s’est construit un espace idoine en pyjama : le pantalon mauve mou s’assortit d’une veste du même ton.
Durant des années, une jeune femme fume dans l’espace réduit d’un balconnet. L’homme qui la regarde découvre un jour qu’elle est vêtue d’un pyjama.

Toutes ces heures passées à fumer et à regarder. Au même endroit. Avec le même point de vue.

La fille fume en blanc sur son balconnet. Lunettes. Assise. Le soleil caresse ses mollets. La pose est sublime. Immobile, elle semble penser. Tapote la cendre à l’extérieur des barreaux. Corps inclus dans ce minuscule espace.
C’est la première fois, en blanc.
Le blanc rayonne. Ombres portées des barreaux sur le zinc gris clair. Son peignoir. (En aurait fini avec le mauve mou.)

Early Works de Trisha Brown, Parc de Chamarande, 20 juillet 2008

de nombreux apitoiements et un zeste d’oubli

[Mercredi 21 octobre 2009]

Il n’ y a pas de raison, on se dit, pas de raison pour, à, et on balbutie.

Une jeune fille
dont les yeux restaient de longs instants dans le vide
tandis qu’aux commissures de ses lèvres se formaient d’invisibles bulles,
se tenait là.
Cette jeune fille ne nous servait à rien.
Elle avait envie de manger et de boire.
Elle était grosse mais il fallait qu’elle fût encore plus grosse.
L’occupation de manger l’absorbait entièrement.
Et alternativement elle avait besoin de boire.
Les nourritures d’aujourd’hui
sont ainsi faites
qu’elles appellent le boire,
vite,
engouffré comme un vent impérieux fait perdre un couvre-chef mal fixé
et rabattre encore les pans du paletot
sur un corps prématurément conformé aux idéaux de sa propre destruction.

Il n’y a pas de raison, on se dit, pas de raison pour, à, et on balbutie.

La jeune fille
qui ne nous servait à rien avec ses bulles à la place des paroles,
souriait de manière bienveillante,
comme si elle savait
que notre principale occupation
était de remuer du vent.
Alors rien ne se décidait à sortir de sa bouche,
tandis que son regard sans portée ne tentait aucun coup d’éclat,
ne réverbérant aucunement la connivence.

c’est-à-dire : c’est / après

[avec J. Coltrane]

parfois (il y a) tant et si peu
sautillant répétant un temps fort un temps faible
sautillant glougloutant perpétuant
sautillant coulissant frénétique
inassouvi descendant sautillant
reprenant sautillant sur sept tons
sautillant fifille sautillante
creusant fouissante aiguisante

et reconnaissant un rythme soutenu, un rythme tout à coup changé
un rythme à dire, tout à coup changeant de registre
et même de responsabilité de dire, un sabir si on veut
c’est à dire : c’est / après

ensuite alanguis, avancés sur des promontoires voluptueux
comme ils se servent des notations et des paragraphes
ont la capacité d’écrire pauvrement, de rédiger de pauvres lettres
parfois (il y a) tant et si peu dans la finition de la ligne mélodique

voix reprendrait chef sifflet alors.

Le commun est une boue opaque

Il faut se rendre à l’évidence : il y a trop de mots. Et trop de phrases.
Trop de phrases et trop d’imparfait. Trop de descriptions. Trop d’enchâssées.
Une fois que ceci est compris, alors.
Mais ceci n’est jamais compris. Ou partiellement.

Vous avez appris à ne plus rien savoir.
Je ne voulais plus me fatiguer.
Arrêtez de geindre. N’oubliez pas : le je, trop vite arrivé.
Tant pis. Aucune règle ; ébouriffons le chanvre.

Alors qu’on rêve de les voir, quatre ou cinq autour d’une table. Installés. À leur aise.
Qu’on tient à (une formule encore secrète).
A.G. avait dépassé sa station. Le bureau de B.M. était trois cent mètres en arrière.
L’imparfait, l’atroce imparfait. Exsude une immense maladresse. Triste.

Nous sommes libres, nous respirons hors l’imparfait !
Nous écoutons un continuum de clavecin aéré.
Comme mousse de framboises fouettée (ardemment fouettée).
Sonate, flûte, viole de gambe, pénétration subtile du cortex.

À chaque fois il y aura des peut-être non résolus.
À chaque fois personne ne se retournera sur la sihouette du cave.
L’invincibilité ?
Si vous voulez.

Alors ?
Alors nous n’irons plus jamais vérifier quoi que ce soit.
Vous ne feinterez plus ?
Plus jamais.

Le commun est une boue opaque.
Soyez plus clair.
Des formes en surgissent, toutes crottées d’abord.
Engels dit à Marx qu’il faut écrire un programme que tout le monde puisse comprendre.
Ils sont si jeunes. Marx doit faire vivre sa famille.
Ils l’écrivent. Ce sera le Manifeste du parti communiste.
Vous avez vérifié ?
Non.

Alors qu’on rêve de les voir, quatre ou cinq autour d’une table. Installés. À leur aise.
Qu’on tient à (une formule encore secrète).
A.G. avait souvent eu B.M. au téléphone, mais n’avait jamais été le voir.
Il est possible qu’ils se rencontrent et qu’ils fomentent un projet commun.
Qu’ils se décident à quelque chose, malgré l’odieux imparfait et tous les impossibles en travers.
(…)

::::::: statut de l’imperfection ::

elle chante et c’est si doux, sa voix posée sur doux piano
comme elle prononce silence, comme elle prononce ses yeux

elle demande dites-moi, on entend l’absence, encore l’absence
les arpèges se poursuivent sa voix câline lumière et l’azur
on entend le mode mineur puis les cavaliers sous sa fenêtre
sa voix monte et grince, le piano conclut d’un accord sec
elle fait monter son âme et sa voix chute tout en planant
et son âme sous sa fenêtre cavalièrement triomphe
de ces folles amours sa voix déraille planante et dévisse
à coup de rimes sous sa fenêtre, et encore le froid du soir
le froid du ciel noir ! adieu, rupture & syncope
adieu, elle répète, adieu, un adieu long sous piano pensif
et péremptoire, piano bientôt désespoir
un adieu en note allongée, étirée jusqu’à extinction
♦ applaudissements ♠

le moment où c’est plat

plat non visible non audible : plat à peine représenté,
oeufs même pas, ni pluriel : plat

plat et trop, un et deux, régime de biais, dégoiser
c’est donc plat ! ça l’est et pas qu’un peu

la vie plate plate plate là-bas : ici, non ?
ici l’est plate : plate colorée de gris perle

le moment plat : coquille sans rebondissement
minceur disparate soulignée d’achromie

échappée des statuts : plat comme platitude
simili-plat, geste : résorption de l’espace dans le temps

si défini qu’il soit, le moment plat : augmenté dès que dit
disparaît dans sa platitude : il passe