[] du sable des ancêtres []

parfois je suis moins féroce, ils viennent, ils débarquent, ils vroument,
ils cabriolent, devrais-je les quitter ?
mes pieds secs circulent dans des babouches anciennes,
devrais-je les oublier ? ma mémoire les laisser divaguer comme les errants, dans une immense forêt les perdre ? 



j’ai un costume noir, je les interroge, je ne parle pas leur langue,
des fumées calment mes fureurs, des décisions, implacables,
à leur propos sont prises, que mes mains signent
après avoir classé sans suite des photogrammes enluminés



j’ai baissé la lumière et des îlots de sons recourbés se déplacent
au bout des cils du temps,
un bâton, une fois, scande les échos comme une talonnette asymétrique le trottoir ébréché des arguments perdus,

je me tiens droit,
des voix portent la distance mouillée depuis l’enfantement ruineux des ancêtres, il me reste du sable à la naissance des orteils

[28 avril 2015]


Robert FILLIOU (1926-1987)
La belette est solitaire, 1961/1972.
Lithographie sur papier kraft en 7 couleurs.

tiens, je vais arranger les choses

ce devait être facile : tiens, je vais arranger les choses
mais avant existait autre chose que les choses -
d’autres choses se manifestaient

les choses ne sont pas nées d’elles-mêmes
non pas nées comme ça : la chaîne de causalités
une chaîne avec des maillons multiples
tout imbriqués tout serrés les maillons de la chaîne

notamment nés comment, notamment -
ce pour le volet métaphysique : il y a beaucoup de choses
dans l’ordre des choses : que ça n’est pas

que ça n’est jamais ce que c’est
qu’il faudrait capturer l’instant
que même les grammairiens ne s’y risquent pas -

la chaîne des causalités présente : l’état des choses
en amont, en aval et sur les côtés
sans oublier les facteurs aggravants
& les circonstances atténuantes -

tiens, je vais arranger les choses : 
facilité de laquelle me prévaloir, subitement vaine &
que la chaîne de causalités alourdit d’insensé

La BD métaculturelle de David Moser (1979), page ouverte au hasard de
Ma thémagie, Douglas Hofstadter, 1988

légère ivresse conquise et calomniée

• Printemps 2002 •
[Monologue intérieur de Pierre S., s’adressant
à lui-même, et sûrement au-delà, à l’autre de lui-même.]

Tu vas te renseigner sur la déception et ce qu’il y a après. Il va falloir la jouer fine. Tes repères sont indéterminés. Tu joues le naïf. Tu l’es. Tu pensais pouvoir surseoir aux vérités promises. Tout à coup : plus de filet de sécurité. Tu décides brutalement de ne plus vérifier les mots.
Juste creuser la déception et son après.

Tu voudrais bien rompre avec le sentiment, mais alors ? Tu emploies sans compter des décisions non suivies d’effets. Comme des cartes à jouer que tu jettes sur la table, l’une après l’autre. D’autres cartes surgissent spontanément du dessous de la table. C’est ainsi que procèdent les joueurs chanceux. Sinon comment ?! Tu voudrais bien toi aussi procéder.

Tu vas te renseigner. Peut-être faire le tour des administrations où se trouvent les renseignements. Tu sillonnes la ville près du fleuve qui la coupe en deux, à la recherche du renseignement. Tu penses qu’il va falloir te brancher ; tu ne sais pas exactement où est la prise. Expectative sur le voltage. Tu te sens comme un petit appareil électro-ménager, oui, comme un sèche-cheveux.

• Printemps 2017 •
[Il n’y avait pas d’autre possibilité pour Rita que de vivre
ce qu’elle était en train de vivre, et qu’elle ne savait pas.]

Rita observait ce corpus-corpus, de textes et de corps, comme une intégration désormais sans frontières, et dont on chercherait longtemps à établir une topographie. C’était l’enjeu du malaise contemporain : on ne savait plus où était le point d’arrêt des paroles, comment commencer une action, que devenait l’Idée
L’irréalité rebondissait sans cesse, repoussait les limites de son incrédibilité ; toujours plus. Et, au bord du désastre annoncé, beaucoup de tranquillité, beaucoup d’inconscience, beaucoup de joie.

L’irréalité du monde environnant trouvait son pendant à l’intérieur de la prison. Il n’y avait pas de barrière à l’irréalité, pas de dehors, pas de dedans différencié. Et même, on apercevait l’inversion, dans cette ombre d’irréalité qui voilait nécessairement les promiscuités obligées.
Fallait-il que chacun devienne un personnage dans le lieu qui lui était assigné ? Fallait-il qu’il y ait invention de soi où que ce soi se trouvât ?

Et cette création de soi comme personnage dans l’espace clos de la prison, bordé par les murs, le lit de béton, la structure-même de la cellule, dont les utilités seraient scellées aux murs pour éviter les suicides, apparaissait à Rita comme l’évidence d’une souplesse possible, d’une résistance à la massification, par le simple fait de l’encellulement individuel.

un bouquet de joie touffu

écrire ne se montre pas
écrire ne se saute pas
écrire ne se vocalise pas
écrire est écrire (et c’est encore trop : écrire est)

plaza de San Agustín, Cordoba
une église en hauteur, Lons le Saunier, Jura

dans cette ville du sel à l’Est
dans cette ville au bord du Guadalquivir

dans ces villes que la géographie et l’histoire
peuvent tout à fait décrire avec de nombreuses phrases

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écrire le résultat ?

il faudra y revenir, disent-ils
oui, il le faudra, pourrait-elle dire

mais rien ne remplace l’expérience,
ajoute-t-il

on se demande pourquoi d’ailleurs,
ose-t-elle

écrire le résultat ?
oui ! un bouquet de joie touffu !

à l’impossible bordel amer ::::

dans les mots carrés il y a une femme qui rampe

 

le carré n’est pas un cube ou s’il l’est c’est qu’il s’est multiplié

nous venons de loin, de là-bas, encore plus loin, faibles

la dépense de signes diacritiques est autorisée en dépit du bon sens

dans ces circonstances exceptionnelles : les couper en quatre

 

dans les mots carrés, femme qui se dédit n’avale pas mouche

 

ce qui est en cours jouxte l’utile, le pratique, les programmes

tout se saute dessus et fait un tas, puis deux, à pieds joints

la joie participe fièrement à la compression des organes vitaux,

elle sort en robe de soirée et distribue des tickets à l’encan

 

dans les mots carrés, femme fatale se signale : coucou

 

dimensions, affiches, ruines, portes se sont augmentées

et au nettoyage de la carrée l’intendant fou s’est attelé

femme rampe, verticale, à l’espace fusée sonore détruit

les configurations prévisibles, et son rire s’élève dans sa fuite.

rognures de notes sur le Dasein et le Gerede

comme ça vient : de l’impossible toujours possible

une note après l’autre : le beau s’est éloigné

crainte de l’abaissement : la catastrophe a déjà eu lieu (Winnicot)

le blabla de l’être-là : est là. est, en ce sens, là.

il ne s’agissait pas de cela : alors de quoi ?

par temps de – – – – – – – remplacer les tirets par un mot

texte à trous : il l’est toujours, puisque la langue l’est, trouée

nous dirions encore : quel est ce nous ? (hein ?)

ce ne sont pas des notes : non, c’est un semblant

voici des notes : qu’auriez-vous pensé de la finitude ?

L’angoisse est une disposition affective qui remplit la fonction de ménager à l’être-là une ouverture vécue et primordiale pour l’être-pour-la-mort.
L’angoisse se distingue des autres dispositions affectives en ce qu’elle met le Dasein en présence du non-étant.
L’angoisse désigne le sentiment de la situation où intervient l’épreuve authentique de la finitude.
(notes extraites de La notion de finitude dans la philosophie de Martin Heidegger,
Henri-Charles Tauxe, L’âge d’Homme, 1971)

le beau s’est éloigné : on regarde le bleu

on regarde en l’air : on lève, on relève ? on révèle ? on rêve ?

comme ça vient : le blabla de l’être-là

[autres rognures de notes]