– lire entre mes livres –

 

Une lecture attentive de Une théorie de l’attachement (P.O.L, 2002)
& de L’enfant fini (Cardère éditeur, 2016),
par Jean-Luc Bayard, auteur P.O.L (13 décembre 2016)

 

– (…)
– la différence entre les livres ? Elle est mesurable, bien sûr. Entre les dates de publication respectives : 14 années ; entre les personnages principaux, de l’un et de l’autre ouvrage : trente-sept centimètres.
– après cela, bien sûr, les rapprochements, il ne s’en priverait pas.
– prenez l’élément liquide. D’un côté Jasper, « ses yeux liquides », de l’autre côté tellement de « mots liquides ». Une écriture de la même eau ? C’est pas ce que j’ai dit.
– mais New-York, quand même. L’Hudson et Soho, on va de l’un à l’autre.
– et le silence, hein, le silence…
– la catastrophe surtout. Cette manie qu’ils ont, l’un et l’autre, à naître au lendemain d’une catastrophe, vous la comprenez, vous ? (« Jasper, par sa place qui lui a été attribuée par sa naissance après la catastrophe » ; « Au lendemain de la guerre, quand je suis né »)
– de cette manie de naître sur le feu, vient la fenêtre, où ils sont attachés, regardant : « être à sa fenêtre plutôt que naître » ? : « je reste pendu à la fenêtre » ; « devant ma fenêtre sans rideau » ; « la liseuse est à sa fenêtre, et pas ailleurs »…)
– regardant, mais sidérés. Le regard fixe. (« l’équipe avait regardé le regard fixe de l’enfant, dont la fixité n’était pas conforme à l’usage du regard » ; « Je dois garder les yeux droits et ne pas ciller. ») – et le silence encore, avec la sidération. (« l’une que j’ai tue par force, l’autre qui se tait par destin triste, la troisième que je tais en mon for intérieur »…)
– regardant par la fenêtre, vers l’autre côté. L’Allemagne, l’Europe si vous voulez. Ils nomment les places, en face, comme des pays…Il est malade de l’Allemagne (hier), malade de l’Europe (aujourd’hui). À moins qu’il ne compte sur l’Europe pour le guérir de l’Allemagne, mais faut pas rêver.
– la hauteur, voilà ce qu’ils cherchent. À prendre de la hauteur. À prendre l’auteur de là, tandis qu’elle passe, l’histoire (avec sa grande hache). Être auteur, silencieusement. « Sa vertu était son là- haut à lui » ; « il est un autre être, avant d’être un hêtre haut ».)
– ça tient à quelques signifiants communs, par quoi les noms se rapprochent. Violette et Valenti, leurs trois lettres VLT, comme racines du nom, on croirait de l’hébreu.
– d’un côté la racine, de l’autre la fin. À n’en pas finir. « Pas de saison finie pour les ouvriers, jamais de saison finie, l’infini du labeur. » La fin, on veut bien la mettre au commencement, voilà.
– (…)

                                                                                                                cour des Beaux-Arts de Paris, février 2023

 

marketing extrême & ode à la dorade

 

 

 

Il y a une forme.
Il y a des coïncidences.
Il y a du sens.

Et c’est un bien-être. Un bien-être au jasmin. Oui.
Vous êtes dans un jardin et vous respirez. Respirez bien.
Il n’y a pas de conséquences à respirer ce jasmin.

C’est très simple à comprendre : un petit groupe discute, d’accord avec lui-même.
À la lisière du petit groupe, un ou deux individus ne trouvent pas leur place.
Ils s’ennuient. Ils vont faire un tour.

Après les moments intenses, il y a des moments plats.
Au début, c’est inacceptable.
Puis ce n’est ni acceptable, ni inacceptable.

Intermède : un jour, la mer. Ça ne se décide pas.
C’est un aller-retour. La mer ennuie aussi.
Il y a des sens interdits près de la mer.

Quelque chose d’un visage n’existe plus.
Tous les visages disparaissent.
Éviter l’excès dans la description si possible.

Il y eut quelqu’un. Son visage existe toujours.
Cependant son être disparaît.
Combien de zigzags faut-il emprunter pour arriver ?

Il y a une forme.
Il y a des coïncidences.
Il y a du sens. Jusqu’au moment où plus.

 

 

 

dressing de poupée d’saison

 

 

elle vante son « dressing », c’est une petite machine
qui produit de la musique
un napperon plié en accordéon très coloré rouge vert jaune
des couleurs de cuisine
l’enfant plus âgé adore son objet
le plus jeune s’est pris dans le fil
a failli être étranglé
elle remet de la musique pour danser
elle est si gaie avec son fil bleuté entre les mains
qu’elle tripote en expliquant
comment son fils aurait pu être étranglé
mais le plus important c’est la musique dit-elle gaiement

à un moment / donné
ça disparaît

les dollars arrivent
avec les couleurs

étrangement pâles bien que vives
leurs pointes enfantines soulignent des fragments de

! phrases !

                                                           Jean Puy, Jeune femme nue au turban sur un divan, vers 1900 (détail)

 

c’est-à-dire [montage impuissant]

 

 

 

partis pour voir des choses volantes
sur leurs petites allumettes frêles
les enfants de la guerre
au début du siècle suivant
perdent l’esprit
l’esprit c’est-à-dire
l’esprit l’oubli
l’esprit n’ayant jamais fait cela
l’esprit plus ne se reconnaissant
plus ne reconnaissant la cadence

partis pour voir les choses volantes
arrivent aux choses loin
l’esprit s’est enfui au début du siècle suivant
aux enfants de la guerre la patrie méconnaissante
aux yeux écarquillés les yeux hagards substitués
les yeux pour voir les choses monumentales
monu comme monu
mentales comme mentales
les choses monu/mentales
c’est à dire architecturales monumentales
comme on les voit à Iena par là tout autour d’Iena

choses loin c’est-à-dire sénescence
c’est-à-dire choses volantes devenues loin
par le vivant entraînées
par le vivant attirées
choses loin c’est-à-dire vieillissement du cerveau
pas volant ! pas volant !
(…)

 

 

bonus inédit de L’homme en bleu

 

 

Un jour ils ont mangé ensemble dans une grande ville de province. Enfin, un soir, dans une rue piétonne. Ça a quelque chose d’anodin, la rue piétonne, et pourtant, ça peut être très agressif. On s’imagine les piétons pensifs devant les cartes de restaurants, les lumières douces, les corps se frôlant, avec ou sans intentions. Pourtant. Toutes les haines accumulées entre les êtres proches pourraient faire fonctionner toutes les ampoules des vieilles villes durant des siècles.
Bref, ils se sont attablés, eux aussi, dans les lumières douces, en terrasse, avec beaucoup de politesse, s’apprêtant à passer un bon moment. Et déguster les spécialités locales, comme il se doit, ce qu’il ne faut jamais faire en pleine lumière, soit dit en passant.

Leur conversation, comme fréquemment conversation entre un homme et une femme, avait mis l’amour, quelque part entre l’entrée et la spécialité locale, sous la forme d’un panégyrique de la monogamie. L’homme en bleu en guidait le cours, détenant une certitude affirmée, pratiquement suprématiste, sur l’inutilité de chercher plus loin ce que l’on avait chez soi. La perspective de la femme en animal domestique à laquelle l’homme vouerait un culte définitif n’était pas sans lui déplaire, bien qu’un tout petit peu mortifère.

[brouillon inutilisé de L’homme en bleu,
lu à la galerie Olivier Nouvellet le 5 janvier 2023,
lors de la signature du livre, avec exposition
des dessins originaux de Laurence Garnesson
– voir page :: et ailleurs ::
]

 

« je ne connais que mon esprit »

 

 

je ne connais que mon esprit
fut une phrase loufoque
qui n’exista pas
ou dont l’existence serait remise en cause
(suspecte ?)
partie des hauteurs de Grenade
flottant sur les sommets enneigés

je ne connais que mon esprit
aurait une fin
/ dérivatif lambda /
longeant des plaines embrumées
au loin desquelles leurs silhouettes de pierre
se laissent deviner
avancée lente, sans panache

je ne connais que mon esprit
petit animal flétri
inconnaissable et rébarbatif
dans le silence et la réprobation
effeuille ses possibilités
au vent sournois
qui disperserait ses cendres

[rythme : mat, syncope des voix,
hauteurs, quelque chose d’appuyé,
d’insistant
nom propre
chiffre 32
division en minutes
cuisson, énergie disponible, etc. ]

             Evidence, Soundwalk Collective & Patti Smith, Centre Pompidou, 20 oct. 2022 – 6 mars 2023