emploi raisonné de l’imparfait

récit nourri de causes multiples
récit nourri avec couteau 1 : la poire n’avait pas de centre
récit nourri avec couteau 2 : la laitue avait deux coeurs

la laitue affectueuse et la poire vierge de pépins
avaient en commun un couteau et l’imparfait du récit

les deux bouts du récit ne se tiennent pas
ils se tiennent rarement dans les récits nourris avec couteau

le mot anxiogène n’existe pas dans la langue
et pourtant il est utilisé à des fins politiques précises

le permis de séjour d’un récit nourri de causes multiples
serait contresigné par l’urgence mais sans ses causes

à quoi sert couteau 1 ? à séparer les épluchures de la chair
à quoi sert couteau 2 ? à réduire la salade à ses feuilles
à quoi sert un récit nourri avec couteau ? à employer l’imparfait

freesbee langue

[annonce]

ce jour de freesbee langue est arrivé
ce jour ce jour ce jour ce vrai jour
si dansant si chantant ce jour de chaque jour
de freesbee langue je l’ai reconnu

ressemblait étrangement à pipelette dancing
mais avec sa petite différence son petit sens
son envers tout cruchon son petit capuchon
arrivé dans les oreillers arrivé dans la volupté

pipelette dancing* très sérieux composé pour
la revue Pøst arrivera à l’heure de Montréal
arrivera comme freesbee langue sur tapis volant
un matin dans les blanches pages du carnet


longue time de la freesbee langue
contient en sa cruche tout ce qui versable
se dérobe au versifiable et envoie au diable
les savoirs prononçables les chichis à table.

* pipelette dancing, initialement composé pour la revue Pøst, y sera publié
le vendredi 15 mars 2019 à 22h30 heure de Paris dans son numéro 3.2

c’est, pratiquement, pas moi

je l’ai vue passer : j’ai une tête de lampe
mon ministre est un interrupteur, et des ennuis
qu’il éteint fréquemment, je règne sur une
quantité d’infinités déplorables
leurs noms : long trait, compas, générateur obscur

                                                            Mélanie Manchot, Cornered Star, 2018

je me tords les chevilles, mon fil se noue de
courts-circuits probables, et parfois de langueurs
surprenantes, type quinconces avérées
corps obsolète, forcément, branchement syntone
épuisement des possibilités hors prise

mon être de lampe me convient mieux aux yeux
je me répète aux coins des pièces
il est des fuites non récupérables comme
proches des cardinaux, qu’une patente
viendrait sceller en vain, mais avec application

nos chambres célibataires

alors apparaissent les crayons,
ceux auxquels nous croyons

assis, nous ouvrons les yeux
et tapotons nos oreillers

dire n’est pas nécessaire
rien n’est nouveau, ni ce mur

que nous regardons longtemps
& les chuintements minuscules

que nous entendons amicaux,
ni l’horizon parsemé de silhouettes

                                                                          Henri Michaux + ombres + reflets

l’éloignement des arbres
dont les crayons sont faits

les rend approximatives
nous penserions primitives

si nous devions penser, ce qui
n’est pas non plus nécessaire.

retrouver ce que c’est

  1. trouver ce que c’est
  2. puis
  3. le tenir
  4. changer de pièce
  5. le perdre
  6. déambuler encore
  7. longer les soupentes
  8. traverser les nappes
  9. du temps

    Fernand Lantoine, Duco Sangharé, Peule, vers 1936
  10. exagérer un trouble
  11. se parler un peu
  12. murmurer ce désordre
  13. ce vacillement (cultiver les synonymes)
  14. agencer quelques pirouettes
  15. vues de l’extérieur
  16. du haut de l’être (s’adjoindre ce qu’il faut de
  17. philosophie)
  18. ne supporter aucune irruption
  19. aucune voix ni cri
  20. couper les sons
  21. couper les racines
  22. gravir les espoirs
  23. ne plus savoir
  24. oublier
  25. retrouver ce que c’est

cachettes et autres stylistiques pressées

et alors que je me dis : faut que je fasse un peu d’écriture à la main, je me dirige inévitablement vers l’ordi, je ne dis plus jamais l’ordi, qu’est-ce que je dis ? me souviens pas, je me dirige vers le truc et je tape sur le clavier
alors que je me dis faut que je trace à la main, comme hier ou avant-hier quand j’ai tracé et que je trace et que je tracerai, c’est pas le moment, c’est pas comme ça que ça se passe, le cahier est recouvert d’un chapeau (?), il n’est peut-être pas assez visible, toujours est-il que je viens taper ici

alors que je me dis / mais je ne me dis plus rien, qu’est-ce que je me dis ? qu’est-ce que je dis pour désigner ce sur quoi je tape ? je ne me souviens pas

pourquoi un mot est caché derrière un autre : ainsi Delaunay cachant de Staël
depuis plusieurs années c’est la même histoire, je pense à Nicolas de Staël et son nom est caché derrière Delaunay, c’est Delaunay qui vient, et je sais que ce n’est pas celui auquel je pense, et j’éprouve de grandes difficultés à retrouver de Staël
peut-être qu’en l’écrivant son nom cessera d’être caché derrière un autre ?

j’ai été écouter Kluge : beaucoup de savoir, d’écho, de rebondissements, oui mais quoi en particulier ? je ne sais pas
Kluge est né en 1932, ceci n’explique pas cela, mais se cacher oui, dans les caves pour échapper aux bombes lâchées par l’aviation ennemie

ou partir sur les routes pour échapper aux tirs ennemis : l’exode en 40

bien sûr, Le nom sur le bout de la langue, Quignard, m’effleure
– et une voix me souffle : mais ne devrait pas –

[une sorte de journal écrit ailleurs que dans le journal, ailleurs que dans tous les journaux en cours dans les cahiers et dans le truc sur lequel je tape]