plus rien qui danse /

 

Autrefois quand la Terre était solide, je dansais, j’avais confiance. À présent, comment serait-ce possible ?
On détache un grain de sable et toute la plage s’effondre, tu sais bien.
Henri Michaux, « La Ralentie » in L’espace du dedans (1944)

 

 

rien sans souffrir
rien ne suffit
se déposent sur la page

ou encore
lu au cimetière
”RIEN”, de Pierre Reverdy, in Sources du vent, 1949

je ne me souviens de rien
interdite je scrute le rien
et encore

ce décor d’une enfance
où un je a vécu
où un autre a vécu et tant écrit

plus rien qui danse
c’est si difficile
et rien ne rime à rien

plus rien qui danse
et pourtant
ça danse encore

ce décor malaxé
dont le nom répété
crie vie grâce aux morts /

 

 

perpétuation de l’espèce ::::::

 

 

 

opinions de X Y & Z
opinions de terre battue
opinions des disparus
opinions générales
opinions de A à Z
opinions sans conviction

odeurs de légumes
en cuisson légère
soulever le capot
regarder le moteur
en roue libre
éteindre le feu

caddie sur terrasse
linge au vent
juillet passant
questions sans réponses
sangles sociales
de plus en plus serrées

points de vue
rapports d’experts
dispositifs adéquats
participation aux frais
course à pied
futur antérieur.

                                                                                                                                                    Silo coopératif – 1934 –

< humains insuffisants >

 

 

 

les humains sont insuffisants
surtout en photo de groupe
en action de groupe
en désir de groupe
en regroupement

les humains sont insuffisants

c’est ici que j’écris ce roman qui ne s’écrit pas
c’est ma spécificité
il ne s’écrit pas
je l’écris mais il ne s’écrit pas
il refuse
il croise les bras et fait non de la tête
comme toutes ces poupées des années
non non et non

les humains sont insuffisants

c’est l’assertion dominante
de la suffisance
qu’elle est insuffisante
à nouveau je prends plaisir
à nouveau je dénigre
à nouveau j’exerce ma parole critique

les humains sont insuffisants
& le rouge à lèvres couvrant

c’est à peu près la même chose

j’entends une moto mal réglée passer
je suis très facilement distraite

humains de la suffisance
tous ensemble
qu’ils crient dans l’enthousiasme collectif
avec les points d’exclamation idoines

mais rien ne leur revient
de leur prétendu dû
rien
ni l’écho ni l’abc des enfances rougies
ni l’agir nécessaire

les humains sont insuffisants

                     Oeuvre de Wolfgang Tillmans, détail (in Rien ne nous y préparait − Tout nous y préparait, Centre Pompidou, 2025)

l’image, comment t’est-elle parvenue ?

 

il s’agit de Trieste, plus précisément du port de Trieste,
de l’endroit où il y a de l’eau et des bateaux,
mais aussi des bâtiments vénérables & nonchalants
de pierre blonde

il s’agit de cafés profonds et de façades sculptées,
à ne pas savoir trier les statues d’écrivains,
pauvres témoins de ce qui eut vie ici

comment, du regard étalé, proviendrait
celle qui te surprit : l’image ?

comment les neurones se sont-ils connectés
et qu’adviendrait-il, en un moment inusité,
d’une image, celle de Trieste ?
pas de réponse

une autre, qui ressemble à une de Provence
tant décevante,
d’amandiers donneurs d’amandes à ramasser,
de colline à gravir en suant
vers une chapelle modeste mais dominante
à chaque vent ouverte,
s’intercale sans préavis

Trieste a disparu, triste un peu resté,
depuis une éminence gravie
regarder d’une position dominante
la beauté déclarée des oublis empilés.

des hivers intérieurs / s’appeler violons

 

 

violons zézayant, hautbois,
harpe scandant, flûtes longues,
accélérations, roulements de tambour,
orientalisme, coup de gong,
doigts précipités sur darboukas,
persistance des zzzzz des violons,

secouement de tubes remplis de grains,
montées chromatiques des violoncelles,
reprise magistrale par le chef et sa tête
c’est la même chose : caput

et le piano, de syncopes et de retraits vifs
comme mains brûlées sur casseroles
lenteurs d’un xylophone soudain,
menace possible de trompettes,
grandiloquence instrumentale

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bien-être conclusif, caressant, éclairages,
certitudes feutrées,
échappée de lumière vers couloir serti de livres

corps allongé sur canapé
piano Superman
pianiste peintre sculpteur

être Bach, oh, être lui, être seul, toujours,
dans le palais de la mémoire vive.

Johann Sperl, Ferme à Betzingen, 1873 (décadré) [Alte Nationalgalerie, Berlin]

– un infime petit récit –

 

 

(comme un trombone pour attacher quelques feuilles)

trombone jamais seul
paquets de feuilles blanches écrites
geste de tapoter les feuilles
pour égaliser leurs bords
feuilles remplies d’écritures
séparer les tas
les disposer sur la table
les ranger
les tromboner
métal ou plastifiés couleur
les trombones se choisissent
parmi un monticule
deux ou trois doigts fouillent
l’oeil évalue et distingue le trombone

trombone seul à attacher son tas
restera particulier si rouge ou vert
ou seulement métal plus malléable
tas devenu liasse par l’attache
le geste preste un deux trois
reconnue rangée classée
encore un trombone
passe-le moi merci
j’en ai plus t’en as ?

Une demande de brevet américain pour une machine-outil destinée à produire ce type de trombone est déposée le 27 avril 1899 par William Middlebrook à Waterbury (Connecticut).
Le brevet (U.S Patent No 636272) lui est accordé le 7 novembre 1899.