petit poème du brocoli [dit ppb]

j’vais tricoter un brocoli
j’vais l’bricoler l’tripoter
un brocoli frisé tout vert

j’vais l’plonger dans l’eau
j’vais l’voir verdir et verdir
pis j’vais l’bouffer

si bricolé l’brocoli
tout arrangé assaisonné
tout croquant l’brocoli

le brocoli et l’travail (et v’là l’travail)
j’me dépêche de faire le brocoli
c’est la chose la plus importante

tout remettre à zéro
c’est l’affaire du brocoli
le brocoli c’est mon frère

en tempura l’brocoli
et j’pense à Barthes comme
je n’y avais plus pensé d’puis longtemps

j’pense que mes pensées
n’sont pas arrêtées par quiconque
seule avec le brocoli

que personne ne vient m’interrompre
d’un à quoi tu penses
puisque l’brocoli est tout vert

[Paris-Madrid et autres cuissons]

personne ne m’a sauvée

1
j’ai un fichier intitulé personne
personne comme personne ?
oui –
personne qui sonne ?
je n’ai pas personnellement entendu sonner
personne, elle ment ? mais ça ne veut rien dire
ça pourrait vouloir dire, en cherchant un peu
oui mais aujourd’hui je ne cherche rien

2
personne ne m’a sauvée
et alors ?
alors le fichier personne contient cette phrase
et alors ?
alors c’est très différent
en quoi ?
c’est pire, il y a une intention dramatique
qui fait frissonner ?

3
une nouvelle fois une promesse
née de personne ?
oui, de personne née, de poussière sur la table
l’avez-vous repoussée ?
la promesse ou la poussière ?
la table avait disparu, aspirée…
et la promesse ?
personne ne m’a sauvée

4
vous ne cherchez rien, vous non plus ?
ça dépend –
de quoi ?
de si j’entends sonner personne
mais si c’est personne, comment savoir ?
je me baisse pour ramasser la poussière
quel est le rapport ?
j’ai un fichier intitulé personne

                                                                       Robert Filliou, La Galerie Légitime – Place de la Concorde, 1968

à la brasserie du rugby (rédaction)

un homme mange des oeufs durs mayo
et regarde son ordinateur
(regardant son ordinateur, le lisant ? pourquoi pas ?)

la brasserie est déserte, non qu’il soit tard
(pas complètement déserte)
l’homme se régale
(comment trouver un autre verbe, et la petite fille de suçoter son stylo)

au milieu de la pièce (pièce ?)
se trouvent deux autres mangeurs, un homme et une femme
sur les murs, des écrans, l’un petit l’autre grand du double
où se déroule un match, le même
(est-ce si important, madame, que le match se déroule ?)

étonnamment déserte, la brasserie
la serveuse passe en souriant et dit : c’est la grève
(mais enfin, la grève n’a pas commencé ?)
oui mais les gens ne sont pas sortis
(ni rentrés ni sortis ? enfuis ?)

ils ont choisi le milieu mathématique
pour s’installer (tu es sûre qu’ils s’installent ?)
ils ont choisi le milieu de la salle (mieux que pièce)
ils ont clamé : tant qu’à faire, autant le milieu !

et les oeufs durs mayo ?
la femme a regardé l’homme au fond et lui a lancé
ah ! c’est bon les oeufs mayo !
l’homme avec qui elle était s’est retourné
tout le monde a pu constater (constater ?)
à quel point les oeufs mayo dans une brasserie déserte
focalisent l’attention (oui, enfin, éviter les clichés)

et le match ? de foot à la brasserie du rugby
(c’est comme ça et c’est pas plus mal)

le mur et les zinzins

arrivée au point de blocage
blocage comme mur
arrivée au point de mur bloquant

le mur resta là, devant, plutôt devant
et son état de mur empêcha de voir
comme il est d’usage pour un mur

 

gris ? personne ne savait, possiblement gris

 

pas assez d’air, pas assez d’air
dépôt de plainte contre le pas assez
contre le passé, contre le mur, contre le devant

le mur les rendit zinzins
au milieu du mur, le vent
une ouverture, soudain, une décision

 

le vent revint, et avec, les zinzins

 

personne n’a besoin du mur pour être zinzin
le mur et le vent les rendirent zinzins
& leur alliance au dépôt de plainte, impossible

gênes fortuites

je cherche la fonction
/ départs indécidables
\ départs multiples
je lis Vie nouvelle
je ne suis pas réelle

je prends quelques notes en bord de mer
j’attends que ce soit le moment
ça ne l’est pas
ça ne l’est toujours pas
les jours passent

j’oublie l’adjectif
je le cherche au lieu de chercher la fonction
je ne sais pas ce qu’est la fonction

pendant plusieurs jours
ne viennent que gênes induites

un géant de deux mètres treize
met la gêne en fuite

emploi raisonné de l’imparfait

récit nourri de causes multiples
récit nourri avec couteau 1 : la poire n’avait pas de centre
récit nourri avec couteau 2 : la laitue avait deux coeurs

la laitue affectueuse et la poire vierge de pépins
avaient en commun un couteau et l’imparfait du récit

les deux bouts du récit ne se tiennent pas
ils se tiennent rarement dans les récits nourris avec couteau

le mot anxiogène n’existe pas dans la langue
et pourtant il est utilisé à des fins politiques précises

le permis de séjour d’un récit nourri de causes multiples
serait contresigné par l’urgence mais sans ses causes

à quoi sert couteau 1 ? à séparer les épluchures de la chair
à quoi sert couteau 2 ? à réduire la salade à ses feuilles
à quoi sert un récit nourri avec couteau ? à employer l’imparfait