matière de ce qui chatoie

ça a duré / se compte en jours / plis à suivre

rubans minéraux immédiatement transformés
immédiatement dégainés de leurs hauteurs
et frappés à terre

ça a duré / transformations observées

et même choses désagréables telles
musculatures avachies
encore transformations encore (reprise de guitare)

ça durera / les morts arrivent à maturité (meurent)

dégradations quand ça ne regarde plus
inscriptions au col des vêts déboutonnés
inscriptions sur la pierre plate

ça durera entre tirets / des années le dol

ire jamais consommée
restauration d’une tension encore palpable
matière de ce qui chatoie

c’est, pratiquement, pas moi

je l’ai vue passer : j’ai une tête de lampe
mon ministre est un interrupteur, et des ennuis
qu’il éteint fréquemment, je règne sur une
quantité d’infinités déplorables
leurs noms : long trait, compas, générateur obscur

                                                            Mélanie Manchot, Cornered Star, 2018

je me tords les chevilles, mon fil se noue de
courts-circuits probables, et parfois de langueurs
surprenantes, type quinconces avérées
corps obsolète, forcément, branchement syntone
épuisement des possibilités hors prise

mon être de lampe me convient mieux aux yeux
je me répète aux coins des pièces
il est des fuites non récupérables comme
proches des cardinaux, qu’une patente
viendrait sceller en vain, mais avec application

chaque jour son etwas (faire etwas maintenant)

Après mon crime, j’ai disparu. Complètement. Je ne me suis pas exilé, j’ai disparu dans mon propre pays. Il aurait fallu que j’affirme un point de vue, ça m’était insupportable. On m’a poussé à le faire. On peut faire dire n’importe quoi à n’importe qui sans même le torturer. Je n’ai pas été torturé, je n’ai pas souffert. Je ne suis pas faible. Le monde de la connection permanente m’est insupportable. Personne ne peut savoir ce qu’il y a réellement dans ma tête. Je peux parler pendant des heures pour ne rien dire. Physiquement, on peut me voir, mais j’ai disparu.

des zones de retrait avec contiguïté des éléments furent décidées
leur mise en place ne posa aucun problème
les tracés des passerelles ayant été étudiés (minutieusement)

les obstacles levés, en particulier naturels,
peu évitables à moins de les ordonner,
l’etwas advint et circula sans contraintes

Ma disparition ne m’a pas ôté l’ennui, mais il est le mien. Je regarde longuement un paysage aux couleurs de fumée duquel surgissent des monts peints. J’ai fui au sein du monde banal. Il n’y a pas d’ailleurs. L’ensemble des commodités existe pour que j’en use. J’ai réduit les images au strict minimum. Je continue à parler pour ne rien dire, dans le vide de conférences confuses. Mon visage est devenu plat. Je ne sais pas si j’ai encore une conscience. Je trouve parfois un objet que j’arrive à nommer. Mais le plus souvent, les noms ont disparu, comme j’ai disparu.

c’est maintenant que faire etwas se signale,
maintenant, dans l’insularité d’une position externe,
protégée par des roseaux (qui jamais ne rompent)

chaque jour son etwas ! était-il entendu
et des échos résonnant dans les monts : was ! was ! was !
le parfait découpage d’images mortes et riantes

y revenir & semaine disparue

on ne se croirait pas dans le temps
pas tellement dans le temps

prenons un petit bureau de bois
haut sur ses quatre pattes
brun époustouflant de patine
attribuons-lui l’employé aux coudes
revêtus de manchons de lustrine
et disparaissons aussitôt

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de longs champs blonds inusités
formeraient à coup sûr le développé
d’une vue à perte et
de l’orée de la forêt
le sentier débutant
que conviendraient d’occuper
des pensées disparates

rêveusement dans le temps
on ne s’y croirait pas

              peintre actif aux Pays-Bas vers 1630, Portrait d’un peintre, toile, vers 1630 (collection Campana)

quand le choix s’impose

quelqu’un a noté la phrase qu’il venait de dire,
accoudé à une table de bar haute, un mange debout
elle était émerveillée que toutes affaires cessantes il notât la phrase

oui, dit-il, parce que sinon elle se perd

un type entre deux âges, maigre et sec, impossible de savoir ce qu’il faisait
sinon noter sa phrase,
n’était là que pour la noter sinon elle se perdait

elle était émerveillée de cela

était-elle autour du mange debout ? rien de moins sûr
elle était un peu éloignée, un peu plus dans la salle
une salle de bar d’avant, cependant déserte ou presque déserte

Marguerite Duras n’existait plus mais son parfum flottait dans le bar
qui n’était qu’une salle déserte, dont même les tables avaient été ôtées
peut-être ne restait-il que cette table haute ronde
à laquelle le nom de mange debout fut accolé bien plus tard
lorsque les salariés devaient manger debout pour faire plus vite
et accroître dans des proportions non négligeables leur productivité

l’esprit de M.D. ? ce n’était pas non plus exact :
dans cette salle de bar, le mange debout et l’homme qui prenait sa phrase en note
plus cette femme un peu en retrait…
mais aucun comptoir de bar en vue, aucun

peut-être était-ce une salle préparée en vue de danser ?
les deux personnages en embuscade, avant de danser ?
non, on ne voyait pas l’homme se préparer à danser :
entre deux âges, sérieux, affairé à noter sa phrase,
assez sympathique cependant, répondant volontiers à la femme
qui ne posait pas spécialement de question, il faut le noter

la femme se tenait un peu en retrait et l’homme répondait
à ce qui n’était pas une question
oui, dit-il, parce que sinon elle se perd
la femme était émerveillée du calme avec lequel il notait
et surtout qu’il notait spécifiquement cette phrase-ci et pas une autre

dans cette réponse il y avait une puissance particulière
du choix qui s’impose malgré la lourdeur de la narration
qui le rapporte ensuite,
une échappée gracieuse du saisissement immédiat
qui rendait subitement les imparfaits acceptables :
enfin des imparfaits courts, abandonnés, insaisissables

des apparitions opportunes

il y eut des apparitions
il faudra des apparitions, il en faudrait
il aurait fallu des apparitions
il y aurait des apparitions, et alors ?
ne se choisissent pas, ne sont pas élues
des apparitions surgissent

sans verbes, des apparitions surgissent
malgré tout quand même

des apparitions moelleuses
comme des figues sèches

elles rugissent et s’élèvent
de la brume leur amie proche
en bas elles sifflent près de la plage
marchent et disparaissent
ce que l’on préfère dans les apparitions
n’est-il pas leur disparition probable ?

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