l’érosion du pied de la lettre

je parle de nombreuses fois après avoir dansé
et claqué dans mes mains à la fin
en mouvement, après le dernier temps
c’est à dire hors du rythme, 
- imperceptiblement -

j’ai le rythme absolu avec mes hanches qui dansent
je suis sans tête, il n’y a que mes mains

je parle avec des paquets, c’est fluide, rempli, non prémédité
l’érosion du pied de la lettre est en cours
on pourrait en parler longtemps

je parle rempli, en paquets, sans délai
ma tête est partie ailleurs, mes gestes sont infaillibles
j’ai le rythme absolu

des lames de lumière strient l’idée du temps
et les paquets de parole chutent
plus ou moins bruyamment

l’érosion du pied de la lettre ne cesse pas

les paquets encombrants avec lesquels je parle
je les laisse dans le couloir
et je ferme la porte après avoir dansé

récurrence des bancs (trois septains libres)

l’ennui est à relater aux bancs
(si on veut) or
le repos paraît premier dans l’occupation des bancs
un repos temporaire, provisoire, éphémère
j’adopte les bancs, perpétuellement
les bancs d’Europe, les bancs de mer,
plus généralement les bancs de ville

serrer l’ennui est une tâche difficile
à peine assise sur le banc
je regarde autour de moi
(ce je qui s’asseoit sur le banc, ce moi requis par l’autour)
l’ennui aime la fuite, à la folie :
ils n’ont aucun scrupule
soudés par leur impossible description

le banc tente d’empêcher
l’inachèvement et le bord de gouffre
ses lattes accueillantes du rien imprécis
arrêtent la divagation et la transforment
un moment
le banc en soi n’a aucun rapport avec l’ennui :
la fuite les soulage, lui et lui

gênes fortuites

je cherche la fonction
/ départs indécidables
\ départs multiples
je lis Vie nouvelle
je ne suis pas réelle

je prends quelques notes en bord de mer
j’attends que ce soit le moment
ça ne l’est pas
ça ne l’est toujours pas
les jours passent

j’oublie l’adjectif
je le cherche au lieu de chercher la fonction
je ne sais pas ce qu’est la fonction

pendant plusieurs jours
ne viennent que gênes induites

un géant de deux mètres treize
met la gêne en fuite

la surface du lac 1 & 2

d’abord simple : bord & bord
bord ici, bord là-bas, bord tout autour

la famille un homme une femme un garçon une fille
dit : en faire le tour

avec gourmandise la famille nous allons
en faire le tour, la famille nous allons

d’abord simple : bord recul, bord avance
la surface du lac, apparue rêve & paisible

la famille nous en avons fait le tour
avec gourmandise nous du lac

– – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – – –

revenue, en une
impossible, en deux

trouée de souvenirs & d’oublis
étale, divisée, parquée, encadrée

la surface du lac à peine frissonne
changeante & indifférente

à l’immanquable effacement
de ses vagues et de ses cris

s’obstine le temps
dont un hors-bord aurait figuré la trace

                                                                                                Bernard Dufour, 1973 (détail)

ciel devenu noir :: deux dizains

les mers du globe ont augmenté de six mm
nous apprenions les mm à l’école
des divisions, des grandeurs, des tailles
tout en dizaines
tout en disant
rien ne pouvait se produire d’autre
que de compter les distances
que de distendre les contes
chaque jour recommencés
et dans lesquels se confondre

 

les mers du globe ont augmenté de six mm
tous les chiffres rappliquent tous ensemble
tous les pourcentages, toutes les gravités
tous les superlatifs que plus aucun filet ne retient
un tout petit et un tout grand
toutes les mers et six millimètres
ils se font face et rien ne les arrête
ils se mixent et nous recouvrent
six millimètres sur toutes les mers
de ce globe que nous habitons

                                                             Arnulf Rainer, Zentralisation, 1951 (détail)

 

une constante conversation

 

                marque-pages, marque-temps

distance
compas
juste calcul
un siècle auparavant
au loin lac courant
matin
bercement
d’une langue étrangère