> fantaisie pour guerre <

 

le carré des Ambassadeurs est un jardin
il est indiqué jardin des Ambassadeurs, promenade Marcel Proust
mais aussi Allée Proust, c’est comme on veut

c’est la guerre
d’une certaine façon, ça l’est
d’une autre, non, ça dépend

c’est un carré qui n’est pas carré
et dans lequel des coquelicots diversement colorés
bordant la fontaine des Ambassadeurs, surjouent la gaieté

bien qu’on ne leur ait pas demandé,
leurs fleurs scintillent dans la lumière
de l’après-midi déclinant tranquillement

des promeneurs photographient alors
la précise lumière parisienne jouant
dans leurs pétales lascifs et leurs fragiles tiges poilues

l’Ambassade des États-Unis
protégée par des gens chargés de la protéger
se situe juste de l’autre côté du jardin

le pays dont les États sont Unis
vient de voter un conséquent budget pour aider
un petit pays attaqué par un trente fois plus grand que lui

dans ce petit pays, des bombes imprécises tombent
sur des maisons, des immeubles, des familles
les tuant, les mutilant, leur ôtant leur cuisine, leur frigo, tout

le carré des Ambassadeurs n’est pas carré,
pas plus que le grand pays qui attaque le plus petit
comme il l’a déjà fait avec d’autres, n’est sensé

c’est un espace rectangulaire appelé “carré”
comme le grand pays nomme “opération spéciale”
ce qu’il fait au plus petit pays, et pas “guerre”

de même la fontaine des Ambassadeurs
s’appelle aussi fontaine de Vénus,
c’est comme on veut, ça dépend

ce carré des Ambassadeurs a une histoire
comme le grand pays en a une, et le petit aussi,
seuls les coquelicots n’ont pas le temps d’en avoir une.

                                                                                                        Tony Regazzoni, Ultimo Impero, 2021 (détail)