si lointains, les textes > l’or des fous

 

 

d’abord très lointains, si éloignés
puis – si lointains – et l’amorce d’un dialogue
ou d’un soupir : si lointains…(soupir)

le cristal en formation qui forme un cube parfait
dans la nature existe : au moins une fois :
le cristal de pyrite, connu sous le nom d’or des fous

des milliards de pages et d’images :
on pourrait tout savoir, tout sur tout
classiquement et vainement (etc.)

tel un simulacre, tout texte
serait un or des fous, or cependant le tien :
celui que tu tiens et qui te tient.

© Augusta Lubitsch, linguiste anacoluthique zeugmatique,
possiblement orientée par la préface de R. Barthes à La vie de Rancé de Chateaubriand,
qu’elle cite excessivement : (…) seule l’écriture peut donner du sens à l’insignifiant ;
& : (Chateaubriand mesure son mal au fait qu’il peut désormais se citer).
& : Cette distance, établie par l’écriture, ne devrait avoir qu’un seul nom (…) : l’ironie.

          disparition progressive d’un syntagme figé sous envahissement de lichens, lettres attaquées

(…) augure toujours d’un ressaut *

 

* Au fig. Regain subit. Il répondit avec hauteur qu’on n’aurait garde de le toucher.
Dernier ressaut de sa folie !
(Tharaud, La tragédie de Ravaillac, 1913, p. 248)

 

didactique du point mort
observation silencieuse
temps domestique
précipité d’intentions

par le fond des rivières
longues laisses cristallines
de galets léchés
une installation s’imaginait

scène figée
eau emprisonnée sous plexiglas
une barre oblique s’appliqua
à l’ensemble du système

enfin s’emporteraient
les humeurs 1913
par flots choisis
loin des faussetés d’ici

 

* Loc., pop., arg. Être en ressaut. Être en colère. Se mettre, se foutre à ressaut/au ressaut.
Se mettre en colère. Il y a un paragraphe de ma lettre uniquement destiné à te faire mettre au ressaut ! (Alain-Fournier, Corresp. [avec Rivière], 1913, p. 337).

Totem urbain, Épinal Cité de l’Image, détail, août 2024

 

holophrase diététique

 

elle occupe le centre de l’assiette
c’est une patate cuite oblongue
une certitude offerte

d’une part

et d’autre part la silhouette dansante
d’un surfeur blond corps latexé de bleu
remontant le chemin chevilles dorées
sa planche sous le bras

dansant autant que la patate
est immobile et rassurante

/ comme les bancs dont il faudrait
élaborer une politique du regard
ponctuant chaque occasion
de possibilité d’un spectacle /

si les bancs aussi rassurants
que la patate au milieu de l’assiette
qui n’attend rien de rien
que d’être
et encore comment en être sûr
de la part d’un féculent si lent ?

si les bancs aussi immobiles
que rassurants contiennent
des corps contigus
c’est qu’ils suivent des yeux
le surfeur blond dansant 

le fantasme de l’immobilité dernière
s’écraserait telle la patate
en purée définitive

sur la grâce en mouvement
de ses pieds nus sur le bitume.

                                                                                      Pablo Picasso, Tête de femme, 1924

D Day ou un autre, ode à une tulipe

 

 

tu as raison de faire comme tu fais
tu ne saurais avoir plus raison
que celle qui fleurit et se fane
rouge mais pas pivoine

tulipe ! tulipe ! tulipe sans verbe
et jaune et rouge aux larges pétales pavanés
sans infante défunte aucune

ces tombes abandonnées
ces noms qui se répètent à l’envi
ces petits morceaux de verre violet
et vert et blanc tout mélangés
en ratatouille de verre étalé
leurs oripeaux d’étain manifestant
qu’eux ont été il y a un siècle

tulipe insistante malgré le rouge déjà passé
de tes trop grands pétales encore tenus
et dont le vent chavire ta tige
dans son étroite plate-bande

tulipe ! comme un mot d’ordre claqué
à la tête des empires
qui crânement propose et promeut
depuis tes attaches fines l’effet d’un drapeau fou

tulipe ! à ta raison qui s’échappe
personne ne peut répondre
tu ne saurais avoir avoir plus raison
que celle qui fleurit et se fane.

                                                                             La Dame à la licorne, ”À mon seul désir”, entre 1484 et 1538

 

[il n’y a] plus rien que je sache

 


je me laisse aller en écoutant Barbara chanter sa chanson sur l’inceste qu’elle a subi

couper la phrase ?
je me laisse aller, zuerst
und dann, wir sehen au futur : wir werden sehen
oui, tout ce que nous verrons se verra

je me laisse aller, je suis une sorte de liquide épais coulant comme du caramel
(la panique me saisit quant à couler sur quoi)

et maintenant on nous sert Jean Ferrat
on revient dans les années d’enfance lorsqu’on mettait ce disque
sur la platine dans cette famille qui l’aimait tant
pourtant que la montagne est belle
comment peut-on s’imaginer, en voyant un vol d’hirondelles

pourrions-nous savoir ce que nous aimions, enfants ?
nous aimions ce qui était aimé par nos parents (et alors ?)

ce dimanche ressemble à un samedi
à la radio
il y a cette fête de famille, ce soir, peu après le solstice :
l’enfant paraît, les jours grandissent, etc.
et maintenant Nougaro : dansez sur moi le soir de mes funérailles

quelque chose d’incompréhensible se produit :
la couleur du bois est celle du caramel que je suis devenue

dans mes oreilles et dans mes yeux
dans mon ventre
au bout de mes doigts
ce sera plus simple si je me laisse aller en caramel bois
zuerst ; un dann, wir werden sehen…

24 décembre 2023
faux conte solipsiste de N.

 

…chose la plus immatérielle… qui soit

 

 

de l’eau au jardin il en faudrait –
le son d’une goutte sur le grès dans la nuit
la vue diurne sur la lisière du toit
au-dessus du mur de brique rafistolé

de l’eau au jardin le son rassurant
des fontaines andalouses
entre dans la profondeur d’un seul mot
qui entre ? et qui entrera ?

parce que c’est impossible à dire
existent, flottants, ces mots
existent, particulières, ces percussions
encore impossibles, ces couleurs

le geste de jongler d’une main
avec des oranges volées
& le rire qui vole aussi loin
vers les buttes hautes…

j’ai demandé à Dall.e des images pour ce titre,
…chose la plus immatérielle… qui soit

une fois que j’avais vu la variation qui me plaisait, l’original me parut de plus en plus fade