J’avais déjà surpris des regards de cannibales dans des corps encore souples, mais le plus souvent c’était des regards qui n’exprimaient plus rien.
La sous-humanité avait commencé, ni en avance ni en retard sur l’horaire.Devant un monde fini, il fallait bien que l’espèce commençât de s’éteindre,
comme la prescription écologique le soulignait depuis un moment avec une insistance suspecte,
et des ampoules qui étendraient à brève échéance sur le monde un voile d’obscurité.
Le nouvel obscurantisme de la basse consommation.La bassesse était devenue le critère le plus évident, le plus criant,
contre laquelle des élévations tentaient de s’ériger,
solides, liquides, vaporisées ou démonstratives.Mais contre les réductions garanties tout le temps,
contre le moins cher du moins cher, contre le gratuit perpétuel,
contre la fuite du temps, l’impuissance grandissait chez les hommes,
dans un mouvement inversement proportionnel à leur stock de spermatozoïdes.C’était surtout les hommes qui posaient problème
dans la reproduction de l’espèce,
enfin, c’est ce qui se disait dans les magazines.*
Chargé, avec d’autres petits servants de la stratégie sécuritaire publique, de contenir les risques de débordements populaires,
je devais développer un arsenal discursif emprunté comme d’habitude à la distraction, à la flatterie, à la séduction massive,
à la libido crémeuse, à l’enveloppement à l’algue sémantique.Faux-monnayeur, quoi,
grand classique de la démocratie sentimentale.
Mais ça résistait de plus en plus,
la rhétorique populiste ne fonctionnait plus,
ça devenait de plus en plus criant.J’avais essayé d’expliquer à mes commanditaires que les bons sentiments, les propos mesurés, les efforts de la nation,
les cadeaux de bouche,
les promesses de smic à vie, rien ne valait plus rien.Si, éventuellement les matchs, éventuellement.
Du moins pour les hommes, ça, encore un peu.
Les contenir dans un stade (…)
[extrait de Ce n, 4 septembre 2009]