c’est-à-dire [montage impuissant]

 

 

 

partis pour voir des choses volantes
sur leurs petites allumettes frêles
les enfants de la guerre
au début du siècle suivant
perdent l’esprit
l’esprit c’est-à-dire
l’esprit l’oubli
l’esprit n’ayant jamais fait cela
l’esprit plus ne se reconnaissant
plus ne reconnaissant la cadence

partis pour voir les choses volantes
arrivent aux choses loin
l’esprit s’est enfui au début du siècle suivant
aux enfants de la guerre la patrie méconnaissante
aux yeux écarquillés les yeux hagards substitués
les yeux pour voir les choses monumentales
monu comme monu
mentales comme mentales
les choses monu/mentales
c’est à dire architecturales monumentales
comme on les voit à Iena par là tout autour d’Iena

choses loin c’est-à-dire sénescence
c’est-à-dire choses volantes devenues loin
par le vivant entraînées
par le vivant attirées
choses loin c’est-à-dire vieillissement du cerveau
pas volant ! pas volant !
(…)

 

 

un livre n’existe pas existe

quand la langue s’arrête ne s’arrête pas
sur un mot écrit n’est pas écrit
quand l’histoire n’est pas histoire
que l’histoire ne rebondit pas
bondissant dans les pages
jusqu’au saut final, brillant, impeccable
quand rien n’existe dans les pages tout existe
jusqu’au saut final articulé
que le livre n’est pas livre est livre
que la dernière page n’existe pas
que la première n’existe pas
que la langue soudain s’arrête ne s’arrête pas
qu’il n’y a aucun recours de l’histoire
qu’elle reste seule esseulée nappée
dans les immenses méandres du temps passé
que le temps passé à venir charrie
encore tant de mots de la langue
que l’histoire infinie pourrait se finir
quand encore il est temps
quand déjà il n’est plus temps
que le mot découpé sur le billot du temps
s’acoquine avec l’histoire
pour en faire un livre
que le livre n’est pas encore mais qu’il est déjà.
                                                                                                        Natacha Nikouline, Délitescence, 2021 (détail)

ce qui suit [avec Gershwin]

 

je lis pas tout ça, moi
alors qu’est-ce que je lis ?
je ne sais pas

qu’est-ce que je fous
je pense que c’est ça le truc :
ce que je fous

je fous rien
jamais rien
et depuis longtemps

je regarde le monde
qui me regarde
et la mer aussi

quand elle est là
je suis là
sinon ailleurs

ce qui suit n’est
rien d’autre que
ce qui suit

ce qui suit
suit ce qui suit
en quelque sorte

d’un titre on fait suite
on résume à la louche
on est ici

ce qu’on lit
on ne sait pas
mais nos pas nous propulsent

ailleurs propice
dans une douceur
ailleurs dans une ruelle.

 

poissons bleus ≠ poissons blancs

\pwa.sɔ̃ blø\  ≠  \pwa.sɔ̃ blɑ̃\

les mots viennent et repartent
les mots courent mais pas dans une petite cour
les mots courent ni dans une cour ni à l’avant d’un bateau

les mots courent en tous sens
se superposent, prennent la pose, composent
de nouvelles variétés, s’immergent dans des vases clos

les mots s’étagent, prennent le frais et l’ascenseur
dans un temps moyen, sans chronomètre,
ils pourrissent parfois

et même si le temps les réduit à néant, poursuivent
leur équipée sauvage dans les mémoires
des vieux gants retournés.

                                                     Camille Claudel, Tête de vieil aveugle chantant, vers 1894.

persister sourdre


la vie petite chose

dans le lieu c’est un répit
dans ce lieu écrit
dans ce lieu avec lettres
dont certaines se doublent
quand d’autres, pressées,

s’enfuient,

trébuchent,

tombent,




ce dansant de lettres vives
ne se redouble pas.

quant à l’onglet politique…

 

il peut y avoir des blancs indépendants de la signification
il peut y avoir des impostures dans le texte
il est possible de passer outre
un avertissement attire toujours l’oeil cependant.

*

je parle franc
je viens de la zone franche

je viens de là où le papier doré se tord et flanche
où les larmes s’éteignent dès que nées, tuées par à-coups
et fourchettes volantes

pépiements d’oiseaux méprisants
roucoulant pour mieux masquer leur dédain

il n’y a jamais d’anthropomorphisme qui tienne
répète l’indifférent, zozotant de profil

le fait de tenir debout est une fable judicieuse
à la portée du premier venu sur la planète

l’ensemble des discours suture les justes distances
& probablement, par retour, signe l’effondrement sans suites

rien, rien ne peut nourrir le comportement récent
de l’hominidé ;
une poule shoote dans son oeuf, c’est un peu la fin

personne n’écoute comme déploiement et conditions
personne n’engage l’énervement des silences

les poussières surgissent de l’enfer ci-devant

cinétique des angles, combien de limites à la chute ?
de triangles négligents ? de coupures tièdes au sang absent ?

éborgnée, la nuit se pare d’envies inachevées
quand leurs pieds, gonflés, rabotent le numerus clausus

… des dérives, il aurait fallu dire, des dérives mortes
et des écartements, il aurait fallu dire, des écartements
la source infinie des défaites.