Un jour ils ont mangé ensemble dans une grande ville de province. Enfin, un soir, dans une rue piétonne. Ça a quelque chose d’anodin, la rue piétonne, et pourtant, ça peut être très agressif. On s’imagine les piétons pensifs devant les cartes de restaurants, les lumières douces, les corps se frôlant, avec ou sans intentions. Pourtant. Toutes les haines accumulées entre les êtres proches pourraient faire fonctionner toutes les ampoules des vieilles villes durant des siècles.
Bref, ils se sont attablés, eux aussi, dans les lumières douces, en terrasse, avec beaucoup de politesse, s’apprêtant à passer un bon moment. Et déguster les spécialités locales, comme il se doit, ce qu’il ne faut jamais faire en pleine lumière, soit dit en passant.
Leur conversation, comme fréquemment conversation entre un homme et une femme, avait mis l’amour, quelque part entre l’entrée et la spécialité locale, sous la forme d’un panégyrique de la monogamie. L’homme en bleu en guidait le cours, détenant une certitude affirmée, pratiquement suprématiste, sur l’inutilité de chercher plus loin ce que l’on avait chez soi. La perspective de la femme en animal domestique à laquelle l’homme vouerait un culte définitif n’était pas sans lui déplaire, bien qu’un tout petit peu mortifère.
[brouillon inutilisé de L’homme en bleu,
lu à la galerie Olivier Nouvellet le 5 janvier 2023,
lors de la signature du livre, avec exposition
des dessins originaux de Laurence Garnesson
– voir page :: et ailleurs ::]