dans le tiroir des chaussettes choisir

elle trie les chaussettes, les noires, les beiges, les vertes,
les orange, les imprimées fleurettes,
elle les place, les replace,
elle prend et repose,
elle se dit des choses,
rien n’est arrêté tout est possible
elle défait une paire, regarde une couture
………………………………………………………………………
elle finit par parler : les chaussettes ne répondent pas,
elle regarde des petites fines qui glissent sur le talon
elle aperçoit les rouge au fond,
les grises sont déjà vieilles,
d’autres à jeter qu’elle ne jette jamais,
elle voit les chinoises chinées : idéogramme chaussette
la folie la guette, les chaussettes se taisent
………………………………………………………………………
elle manipule dans le tiroir,
la folie la guette, les chaussettes se taisent,
elle choisit des chaussettes, idéogramme chaussette
elle se dit des choses,
elle prend et repose,
rien n’est arrêté tout est possible,
les chaussettes ne répondent pas.IMG_20160513_212836

et la rue s’est vidée : dans ce vide, M. passe

[reprise couturée de Rue, un texte, sans photo]

Dans une province villageoise, non loin de la mer. Un bras de mer arrive dans le village, qui suffit à la distraction coutumière des villageois. La mer dans laquelle on se roule n’est pas de mise ; c’est un village de travailleurs. On se lève le samedi matin pour faire ses civilités au marché. Et le dimanche, on chasse de très bonne heure, dans les brumes humides quand la campagne sent l’humus.

M. ne travaille pas ; elle est amoureuse de l’homme. Assis à son bureau, avec des lunettes à monture épaisse, écaille, l’homme la regarde. L’homme travaille. M. pose son pull sur le dos d’une chaise et ne sait quelle contenance se donner. L’homme corrige des copies tandis que le feu crépite dans la cheminée. Il lève le nez de ses copies et la regarde fixement. Ses yeux sont bleus, c’est une fente de bleu. M. parle, parle.
Après avoir déposé son pull, elle parle, elle est allée au marché, elle y a trouvé des bottes, regarde mes bottes elle s’extasie. Les bottes sont couleur caramel en skaï avec des talons carrés et hauts. Elle ne fait rien, elle s’ennuie, elle achète des bottes, elle achète en skaï et tente de faire croire, avec l’intonation idoine, que c’est comme si c’était du cuir, ça n’en est pas mais presque, c’en est à force de n’en n’être pas.
Elle-même, elle ne sait pas si elle est en cuir ou en skaï.

M. a marché dans le village pour essayer ses bottes. Le nez dessus, elle a regardé son reflet dans chaque vitrine. Elle ne se lasse pas de contempler ses bottes dans les vitrines éteintes. Le reflet est bien meilleur quand les lumières sont éteintes. C’est l’heure de la sieste, les magasins sont éteints. M.  croit que c’est l’heure de la sieste, mais c’est l’heure du travail, toute la journée c’est le travail. Elle erre dans le village, elle décide de trajectoires compliquées, il s’agit de ne pas se faire voir plusieurs fois des mêmes personnes. Et prépare des raisonnements pour si on l’interroge. Elle lève le menton, ferme sa bouche, se rend dure, marche fermement avec ses bottes qui la rassurent. Elle prend des angles droits après des façades aveugles et grises, s’approche de l’établissement où enseigne l’homme qu’elle aime, puis s’en éloigne. L’homme fait étudier des poèmes qu’elle a écrit, plus jeune, à des élèves qui ont son âge.

M. fume énormément, puis jette ses clopes dans la cheminée. Elle voudrait garder l’homme pour elle toute seule. Tous les hommes, M. veut les garder pour elle, pour les observer, savoir ce qu’ils ont dans le crâne, percer leurs cerveaux. Parfois le matin, la voiture ne démarre pas dans le froid humide. M. dit à l’homme viens te recoucher, n’y va pas, c’est trop tard, mets-toi en maladie. Viens me rejoindre dans le lit. L’homme essaie de démarrer le moteur, il veut y aller, c’est important, il doit rendre des copies, faire un cours. M. a voulu l’homme, terriblement, il l’a d’abord trouvée pressée, alors elle l’a rendu jaloux avec d’autres pour qu’il s’attache, et maintenant, dans ce désert provincial, elle se rend compte que même une colonie d’hommes à observer ne suffirait pas.

Rue, un texte

[avec Objet de rue, et Au bout de la rue, deux photos]

objet de rue

un texte qui dirait la rue comme M. l’aime
c’est à dire comme elle l’arpente depuis des années
à la recherche d’indices,
comme il est impossible qu’elle se la dise,

la rue ne fait que s’arpenter, ne montre presque rien
au bout de la rue, presque rien

au bout de la rue

cette question du regard est centrale, et pourtant
M. ne veut pas la voir, elle refuse de voir la question,
elle refuse d’accorder de l’importance aux photos
elle veut dire la rue, seulement, elle ne veut rien voir

il n’y a que deux photos, il ne reste plus que deux photos
et la rue s’est vidée : dans ce vide, M. passe

de l’intercalation en cale sèche

intercalage est moins employé
c’est une remarque qui me l’apprend

REM. Intercalage, subst. masc., rare. Action d’intercaler, d’insérer quelque chose ; résultat de l’action. Il n’y a pas eu non plus intercalage brusque d’un élément opaque qui aurait séparé l’antérieur du postérieur comme une lame de couteau sépare un fruit en deux (Sartre, Être et Néant, 1943, p. 61).

je m’occupe du sens B à propos de quelque chose que je suis tentée de faire pour ne plus assister à la défaite d’un texte que j’écris/n’écris pas

B − Ajout à l’intérieur d’un ensemble terminé. L’intercalation d’un mot, d’une ligne dans un acte, d’un article dans un compte, d’un passage dans un texte (Ac. 1835-1935).

j’intercale alors dans ce texte des mots en corps plus petit, comme
totalement cru,
général,
bizarre,
ces mots ne pouvant que faiblement faire état d’une continuité non plus que d’un sens très précis

pour parfaire mon émulation j’ajoute l’exemple proposé par métonymie que je suis obligée de relire une dizaine de fois et auquel je ne comprends toujours rien

Par méton. : Je vous envoie une intercalation, la pièce Tu peux comme il te plaît me faire jeune ou vieux, qui entre dans le livre II sous le numéro VIII et rejette au chiffre IX la pièce En écoutant les oiseaux. Modifier les chiffres d’ordre suivants en conséquence. Hugo, Corresp.,1855, p. 211.

puis je regarde les tiroirs de mon bureau, au nombre de huit, deux fois quatre, encadrant un double espace horizontal délimité par une étagère dont j’ignore si elle peut être définie par son intercalation, que je prononce alors mentalement

Prononc. et Orth. : [ε ̃tε ʀkalasjɔ ̃]. Att. ds Ac. dep. 1694.

les mots se dérobent et flottent dans une temporalité devenue incertaine, que le sens A me confirme avec la possibilité d’un treizième mois ajouté aux douze autres

A − CHRONOLOGIE. Addition périodique de jours à l’année civile afin de la faire coïncider avec l’année astronomique. Pour établir l’accord entre les mois lunaires et l’année solaire, les Grecs eurent recours, comme nous l’avons déjà vu chez d’autres peuples, à l’intercalation d’un treizième mois, ce qui donna des années de 354 ou 355 jours et d’autres de 383 ou 384 jours (Chauve-Bertrand, Question calendrier,1920, p. 54).

rien d’étonnant alors si la véritable nature de l’intercalation se révèle dans le bordel du monde tel que défini par le sens C

C − Introduction, insertion de quelque chose dans un ensemble ; fait que quelque chose apparaisse comme inséré dans un ensemble de nature ou d’aspect différent. Dans ces caillasses apparaissent tantôt des lits d’eau douce, tantôt des intercalations gypseuses, attestant l’évaporation qui se faisait dans les lagunes parisiennes (Lapparent, Abr. géol.,1886, p. 345). La répartition des terres et des mers, l’intercalation des plaines et des montagnes (Vidal de La Bl., Princ. géogr. hum.,1921, p. 214). [J’] insère des projets secondaires dans des projets primaires par truffage graduel ou intercalation (Ricœur, Philos. volonté, 1949, p. 48).

 

 

[merci au CNRTL]

à ce moment les mots manquent

trop d’accès, trop d’accès !
venez par là, il n’y a qu’une issue (le lapin)
c’est la seule possible quand vous étouffez
je me noie, je me meurs !
comment, vous ne savez pas ça ?! quoi ?
:: les mots manquent ::

à ce moment les mots manquent
aucun sur le ciment, aucun sur le béton,
aucun dans les fleurs, aucun dans les buissons
roses de leurs promesses récurrentes,
jaunes de leur paralysie languissantebrique femme

de leurs vies ils vous entretiennent,
leurs orifices ils vous détaillent,
leurs organes ils vous jettent à la vue,
leurs sexualités ils dissèquent à tout va,
venez par là, il n’y a qu’une issue (le lapin)

je vous suis, je suis vous, non ! oui !
il n’y a qu’une seule bataille possible,
elle est cachée au fond du terrier, venez !
la terreur n’est pas dans le terrier, venez !
comment, vous ne savez pas ça ?! quoi ?
:: les mots manquent ::

©Picasso, fragment de brique décoré d'un visage de femme, 1962

dans la flaque l’écho du minuscule et de l’immense

nous hésitons devant la mer, qui tout d’un coup nous paraît plate,
et la ligne d’horizon muette,

nous réquisitionnons (le sens)

parce que ce n’est pas lu, ce n’est jamais lu comme ce devrait, l’éloignement s’impose,
parce que ce que nous avons sous les yeux n’est pas propice,
nous devons nous éloigner,
parce que tel qu’est le paysage, nous manquons de hauteur :
reculons-nous, éloignons-nous

il s’agirait de s’éloigner, d’avoir de la visibilité,
la plus visible des visibilités comme en haut d’un panorama montagneux,
comme le majestueux donne le la d’un paysage aux gravitations retournées (qui cacherait au fond de ses vallées nombre de vies)

la visibilité nous a été donnée dès le lever des brume matutinales, lentes

………………………………………………………………………………………………………

la ligne d’horizon était loin, loin de nos yeux, et n’existait pas
nos yeux ne pouvaient pas la voir,
ils la scrutaient pourtant avec insistance,
l’insistance de ceux qui existent et cherchent

là-bas loin, on ne pouvait rien apercevoir, la côte de l’autre bord,
le bord de l’autre côte : absent au voir, soustrait liquide bleu vert
amenuisé de dire, jouant avec les cailloux et le sable
y traçant dessins pour le prochain passant

nous avons cherché dans la flaque l’écho du minuscule et de l’immense

plus tard, il y eut ce dialogue, qui est le commencement de tout,
et dont la question est le régime de routine :
la ligne d’horizon avait une couleur, quelle en était la couleur ?
blanche, peut-être blanche, il nous semble que blanche

…………………………………………………………………………………………………

nous entendons les voix de ceux qui attendent derrière leur soupirail,
ils veulent avoir accès au panorama vert, bleu,
de nuances de vert et de nuances de bleu, les nuances infinies,
ils veulent l’infini (il n’y a d’insistance que d’exister)