:::::: soixante-cinquième septembre :

elle écrit : se cacher

elle écrit : dans le moindre peu – se cacher

ne se cache pas

elle écrit : les découvertes sont rares

elle écrit d’écrire : transversal train

ne se souvient pas de ce que ça veut dire

fustige le ça, ne trouve pas d’équivalent

ne se cache pas vraiment

retrouve un fragment de lettre

il y est question d’un ex-patron de la DST

de séminaires sur la mauvaise foi

de séminaires seulement pour les hommes

les femmes n’en ont pas besoin

transversal train de généralités

le moindre peu – dans lequel se cacher

avec son petit tiret élégant

elle retrouve la lettre mais n’en fait rien

elle retrouve les écrits mais n’en fait rien

elle ne fait rien de ces généralités

transversal train de découvertes rares

elle écrit : un

puis s’arrête à deux

elle trafique encore un peu

avant de se cacher : elle écrit

maigre rondelle de citron


une fois par an je prends un Martini blanc
nous parlions à l’angle de ces deux rues
les glaçons fondirent très vite

une fois par an c’était cette fois-ci
les glaçons ne tintèrent pas longtemps
se résorbèrent dans le liquide clair

je pressai la maigre rondelle de citron
au fond du large verre sculpté
avec peut-être la cuillère de son café

le ciel parisien toujours gris de craie
absorbait nos paroles de vieux parents 
dans l’infini de leurs vies d’adultes infinies

comme dans un film noir 
j’écrasai encore la rondelle de citron
dans le liquide clair de mon Martini blanc.


suite sans suite sans suite sans suite :::

Je suis en suspension. J’ignore aujourd’hui le devenir de cette institution,
et le mien par la même occasion. Il semble que l’ennemi finalement existe,
que des décisions ont été prises pour faire cesser l’existence de cette institution.
Peut-être se sont-ils rendu compte de l’équivalence des identités, justement.
Qu’il n’y avait rien de remarquable à remarquer.
Peut-être ont-ils pris la décision

d’organiser le monde différemment, puisque le monde a changé ?

…dit le narrateur, Yann, à Romuald, vers la fin de
Une théorie de l’attachement, paru chez P.O.L en 2002

 

Cornelia lui avait posé la question : que comptes-tu faire maintenant ? Rien de plus que toi, avait-il répondu. Personne n’a de nécessité à être. Tu mets du rouge à lèvres, je ne te demande pas pourquoi, et pourtant.
Tu devrais essayer ! lui avait-elle rétorqué, mutine.
Ils marchaient le long de la Seine sur les nouvelles promenades au bord du fleuve toutes entières rendues aux piétons et aux deux-roues sans moteur autre qu’électrique. Les phrases devaient dorénavant faire des kilomètres à force de précisions sur les segmentations des circulations dont l’espace public faisait l’objet. Yann aspirait à l’élémentaire, au balbutiement, aux débuts, mais se dépêtrait difficilement des usages qu’il faisait antérieurement de son vocabulaire.

Il se souvenait qu’il devait rapporter avec précision, que rien ne devait être politique, il ne se souvenait pas de grand-chose, et pourtant il était encore englué.
Je crois toujours qu’il me manque quelque chose, marmonna-t-il en suivant une idée qui venait de disparaître et qu’il tentait malgré tout d’attraper machinalement avec la main droite.
Quoi ? dit Cornelia. Il y a du bruit, encore du bruit, malgré l’absence des voitures. Oui, on entend les mouettes, mais il y a tous ces bruits de fond.
Et tous ces cons sans fond.
Ils étaient à peu près sous le Ministère des Affaires Étrangères, pour situer. Dans l’après-midi déserte ils prirent une bière au Rosa Bonheur, petit format.

[voir aussi Pont de l’Alma ]

poissons bleus ≠ poissons blancs

\pwa.sɔ̃ blø\  ≠  \pwa.sɔ̃ blɑ̃\

les mots viennent et repartent
les mots courent mais pas dans une petite cour
les mots courent ni dans une cour ni à l’avant d’un bateau

les mots courent en tous sens
se superposent, prennent la pose, composent
de nouvelles variétés, s’immergent dans des vases clos

les mots s’étagent, prennent le frais et l’ascenseur
dans un temps moyen, sans chronomètre,
ils pourrissent parfois

et même si le temps les réduit à néant, poursuivent
leur équipée sauvage dans les mémoires
des vieux gants retournés.

                                                     Camille Claudel, Tête de vieil aveugle chantant, vers 1894.

ode à ceux qui jubilent en désordre

se retirer
avec le jazz
avec le piano
avec le syncopé
se retirer
avec la trompette
se retirer
avec le trombone
avec le saxophone
se retirer
avec la batterie
avec la certitude
se retirer
avec le rythme
se retirer
avec la voix
avec la voix
avec ce qui perce
avec ce qui pousse
avec les notes
qui montent
qui montent
avec le mode mineur
se retirer
avec les quintes diminuées
avec les septièmes
avec ce qui est connu
avec les débandades
se retirer
avec les descentes
les glissades à genoux
se retirer
avec le brio
avec le syncopé
avec ce qui brille en sourdine
avec les applaudissements
se retirer
avec le contrepoint
avec les figures hardies
se retirer
avec la certitude
avec la grosse caisse
se retirer
avec taper dessus
avec roulements
avec ce qui coince
avec ce qui cherche
avec ce qui sent
se retirer
avec le souffle
avec la sueur
se retirer
avec le chuintement
avec le frétillement
avec ce qui couine
se retirer
avec l’attention
avec l’attente
avec le retiré
avec le ahanement
se retirer
avec la persistance
avec le cri
avec le râle
avec le soupir effréné
se retirer
avec la joie
avec le répété
avec l’accident
avec l’ornement
avec le silence
se retirer
avec scander
avec n’en pas finir
avec rebondir
avec ralentir
avec obstination
avec résolution
avec tourner rond

se retirer
avec panache
avec harmonie
avec grandiose
avec charme
avec tranquillité

se retirer.

persister sourdre


la vie petite chose

dans le lieu c’est un répit
dans ce lieu écrit
dans ce lieu avec lettres
dont certaines se doublent
quand d’autres, pressées,

s’enfuient,

trébuchent,

tombent,




ce dansant de lettres vives
ne se redouble pas.