gigue du contemporain déchu

Parfois on parle en différé,
on parle sur une idée déjà passée,
qu’on a vue passer,
comme un canard qu’on rate, à la chasse.

 

je suis tranquille, c’est un moment
où je suis tranquille, je me répète mais c’est
parce que je suis tranquille

les bruits de moteur persistent mais
je suis tranquille

ombres chuchotées

ce moment où je suis tranquille,
extrêmement court,
file, se désagrège

l’avant n’est qu’un nombre

circulation de signes effusifs
mesure du temps disparu
résistance à la page

fenêtre cadre de l’oeil
cadre dedans-dehors

l’araignée : condenser & déplacer

au milieu des recherches,
ni jour ni lendemain

phrase parce qu’il en fallait une
et toutes ces questions
sur l’araignée polysémique.

Photogramme du film In girum imus nocte et consumimur igni, de Guy Debord, 1978.

le retour du rocher, probabilités –

le retour du rocher donne à l’encombrement une tonalité minérale,
nous pouvons le placer devant la mer, il ne bouche pas la vue, nous n’avons qu’une faible idée de ce rocher – il peut aussi diminuer, c’est sa qualité, son œuvre, son plaisir, son choix –

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le retour du rocher signe une chute probable – il est signalé sur la route : chute de pierres, il s’agit parfois de rochers – la chute de rochers ou bien leur présence au bord de la mer manifeste les deux termes du monde : horizontal et vertical, et, partant, de toute matrice interprétative – abscisse et ordonnée, etc. –

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le signalement visuel par le rocher – devant la mer qui bouche ou non la vue, risquant de chuter sur la route – n’est qu’une des particularités de l’encombrement ou de l’hésitation – les autres dimensions du rocher sont prises en charge par les autres sens, et notamment la voix qui braille, soit de surprise, soit de douleur –

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or il y a le reste,
ce reste (le rocher, ou une partie du rocher) reste,
le reste a pour mission de rester et de lester une partie du temps,
le rocher va et vient, et leste,
le reste est (ou n’est qu’)un lest

 

macache bono la vie des mots

 

Il n’y en a pas ; non ; rien du tout ; pas du tout ; impossible.
(extrait de la définition du CNRTL)

La locution adverbiale, qu’elle écrivit intuitivement « makkache bono », avait pour objet quelque chose qu’il n’y avait pas, quelque chose qui ne collait pas avec autre chose.
Quelque chose qu’elle avait cherché, et mince, qu’elle ne pouvait pas obtenir : une adéquation entre un objet et un autre. À quelques millimètres près, cela ne fonctionnait pas.

C’était un court mail (un court courriel), qu’elle adressait à un proche, un familier, quelqu’un qu’elle n’aurait pas besoin de nommer dans la formule d’appel virgule, d’autant que ce mail était la suite d’un autre : en deux phrases ceinturées de points d’exclamation, elle avait rectifié l’orthographe de la locution, ces deux « k » intuitifs lui ayant paru si pertinents, alors que non, un « c » banal suffisait pour macache.

Et renvoyé, légère, après le premier mail, cet autre courriel pour expliquer sa furieuse dépense de « k » surnuméraires par un tropisme supposé turc (comme si elle connaissait le turc).

C’était sans compter avec les adresses pré-remplies (elle aurait compté que le résultat eût probablement été semblable). Appuyant hâtivement sur la touche Enter, sans aucunement vérifier le destinataire, elle envoyait le courriel désinvolte au président d’une fondation artistique, lequel apprendrait que non, makkache bono ne s’écrit pas avec deux « k » mais avec un « c ».
Et force points d’exclamation.
Et venant de nulle part : non signé et sans aucune formule de politesse.

Macache bono, ce quelque chose qui n’existe pas, cet écart minimal entre les choses.

Balthus, La Fenêtre, cour de Rohan, 1951 (détail du tableau et du cadre)

énoncés bitume, aube & pluie

de sa fenêtre, de toutes ses fenêtres, 4 + 1 dans l’arrondi, elle a vu la scène de la petite place, le vent qui secoue les lumières nées des arbres et de la pluie à cause du réverbère

il est presque 8h, elle s’est réveillée vers 5h30, dehors c’est encore la nuit, la pluie, les arbres doucement bougés par le vent très visibles grâce au réverbère sur la petite place – et la pluie

l’eau de la pluie là-bas sur les lumières fantoches
fait briller le macadam,
l’eau de pluie dispense ses gouttes qui explosent
sur le rebondi du réverbère

plus tard : elle se souviendra de la scène alors que la ville dort encore ;
elle la répètera à un ami au téléphone, sauf si l’autre a beaucoup de choses à lui dire du genre je voudrais quitter la ville,

la scène, petite, serait un décor de film, et rien d’autre /
elle a enregistré les détails, surtout la lumière pluvieuse sur le bitume,
et le vert incroyable de l’arbre /
peu de choses, mais qui font comme une fontaine de choses réverbérables.

like of the like is like
anonyme, siècle vain

DE L’USAGE DE LA PARANOIA EN TEMPS DE PAIX

 

[2 juin 2002]

(…) la paranoïa se retrouve à son acmé dans le besoin d’un leader qui aurait déterminé avant nous le savoir auquel nous pourrions nous confier.
Et peu importe les dégâts opérés par une telle soumission.

François Roustang, in Comment faire rire un paranoïaque ?

 

Ça ne suffira pas d’envoyer des policiers et des ? dans les banlieues.
Je ne crois pas qu’il faille plus de policiers et plus de ? dans les cités dangereuses.

La perception de l’insécurité / la lutte contre l’insécurité
J’ai bien entendu ce qu’était l’exigence de sécurité
Pas simplement des mots mais des actes
Nous avons acté
La punition la sanction
Oui, il faut une véritable politique d’immigration / d’intégration
Prendre en charge les jeunes qui sont
Il faut aussi responsabiliser les parents
Le bâti, oui, mais beaucoup plus ?

On a beaucoup parlé de l’insécurité, dit celui qui vient de prononcer 10 fois le mot

L’insécurité est le fait d’un certain nombre d’individus
Faut réguler les flux / il faut régler / traiter globalement les questions

Nous nous disons
Ce que nous venons de dire
Deuxièmement
Il est normal qu’il puisse y avoir
Et la troisième proposition que nous faisons…

Et votre stratégie pour les élections législatives ?

Faire vivre les valeurs de la démocratie
Va voir dans les campagnes où mugissent de terribles soldats
qui piétinent nos sillons qu’un sang impur les abreuve
pendant qu’un bout de banquise de 70 kms se détache négligemment du Pôle

On doit faire un travail de pédagogie, de combat politique
Et les 35 heures pour les gens d’en bas / d’en haut ?
Est-ce que ce n’était pas nécessaire ???

Je crois qu’il faut faire une distinction
Les salariés les moins protégés = les ouvriers
Il y a eu progrès collectif (dans l’euphémisation)

Partout en France les candidats
L’immigration de première deuxième génération
C’est une poussée de l’extrême-droite partout en Europe
Nous devons réfléchir à la cause de cette poussée ?

Nous n’avons pas été capables de
La question, c’est quel projet ?
Nous devons poser les questions, et y apporter des réponses

Les flux migratoires ?
Les couches populaires ?…….

La note que Musil inscrit le 2 juin 1902 dans son journal commence par les mots :
« Ein Thema für den Herrn Schriftsteller : […] ».

notes sur « autrement »

 

[notes aveugles 11-31 octobre 2021]

Ma vie s’est arrêtée. À ce moment-là. Pile à ce moment-là.

Il a raconté ça et son regard s’est perdu dans les limbes, loin.
Qu’est-ce que tu voulais en déduire ?
Une vie qui continue longtemps, très longtemps.
Il est là devant moi il va bien ; il semble qu’il va bien.
Tu ne pouvais pas le croire ? Non, impossible.

Il nous a déjà fait le coup je ne sais pas combien de fois. Et pourtant.
Il n’a vécu aucune guerre (ça le travaille).
Oui, tu peux le dire : ça le travaille !

Pourquoi pas Dublin ? Pourquoi pas à Dublin ?
Quelle est cette idée de bateau traversant depuis le pays de Galles ?

Ce serait comme une visualisation, avec un cadrage.
Puis une inscription sur un écran. Exemple : le mot abandon.
Et des vagues arrivant de toutes parts, nous encerclant peu à peu.
Les mots sont nos alliés.

C’était cela Tonka. L’infini vous est donné parfois au compte-gouttes.

Robert Musil, Tonka, in Trois Femmes (publication originale, 1924).