Le petit gilet gris Tin’-gue-ly.

 

 

Elles s’appuient à la rambarde, la petite, la grande, au bord de l’eau. La petite a écarté ses bras pour s’accrocher à la barre la plus haute, se hissant légèrement sur ses pieds chaussés de souliers et socquettes blanches.
La grande tient un sac à main à peu près au même niveau que la barre. Elle est légèrement de biais, non pas penchée sur la petite, mais un peu de biais. On voit ses pieds dans des socques plates à la semelle préformée, en bois, comme les Allemandes en portaient dans ces années 60 l’été. Elle aime les Allemands et l’Allemagne.

Elle est vêtue d’une jupe en pied-de-poule et d’un pull ras-du-cou à manches courtes possiblement beige. On ne peut pas savoir, la photographie est en noir et blanc. Elles sont séparées par un espace. La petite porte un petit gilet gris clair tricoté par sa mère. La grande, c’est sa mère. La petite a huit ans, la grande vingt-huit. Elles sont à Bâle. Le père aurait pris la photo.

Ils sont allés voir Tinguely, ses machines inutiles. La mère dit Tin’-gue-ly comme si elle le connaissait bien. La petite entend le bruit des machines qui répètent le bruit sans rien fabriquer. L’entend comme l’exacte métaphore du monde : beaucoup de bruit pour rien.

D’un coup le lancer.

 

 

Quelque chose est lancé par quelqu’un. Quelqu’un lance quelque chose. Lance juste. Ce qu’est ce juste : le quelque chose tombe sur un tissu blanc recouvrant une plante, le déchirant, plante devenue instantanément visible, verte et vigoureuse, haute d’un seul coup.

Un geste sans adresse particulière, sans intention, sans projet précis, fait surgir une plante au regard, et : oh ! surprise générale.
La chose a atteint sa cible, non prédéterminée ; le lancer était au jugé. Conjonction d’un hasard non seulement incroyable – la cible atteinte – et d’un agir puissant : la plante dans son pot pousse subitement et bellement.

L’être pousse quoi qu’il arrive, avance quoi qu’il arrive.

Quelqu’un lance quelque chose, qui touche le tissu recouvrant la plante ; la plante croît immédiatement et crève le tissu. D’un coup le lancer.

lorsqu’il y a le jour trop de jour

 

[pour Frank Ronan]

laissant le piano et ses trilles
ses ralentis ses insistances
aller
un carré d’enveloppe un peu d’encre
un timbre Septembre

l’écrivain irlandais du fond de ma mémoire
mon voisin à la campagne
les roses trémières qu’il plantait
éclosaient comme il respirait

jour de grève

nous avions autour de trente ans
au bout du village
il écrivait comme il respirait
ses roses trémières noires
avaient éclos dans mon jardin
dessinant des lianes devant la rivière
invisible

jour de blocage

temps rabattu comme un trench
pans ceinturés
silhouette sur le chemin
près des ânes et des ronces
dans la fraîcheur toujours redite
de septembre

autre ailleurs du jour qu’il y a
trop de jour

                                                                                                          détail de l’exposition Art brut au Grand Palais

– – – s’échapper par la voie rapide – – –

 

 

les guerres se répètent
les guerres s’aiment étroitement
il existe des alignements de pierres
le regard embrasse
toutes les lignes de fuite
le regard partout terrassé
il existe des lignes de fuite

je n’ai rien regardé
rien gardé
des guerres devant les gares

. absentée .

                                                                                                                      Gilles Aillaud, Grille n°2, 1964

trois lézards morts dans l’arros(p)oir

 

 

devrais-je le dire
devrais-je dire
devrais-je ?

un sens de l’exhaustivité mêlé à un sens aigu de l’ellipse

un temps plus loin
un temps d’avant
un temps mort
un temps

recourir aux artifices qui masquent et enjolivent

la hauteur juste
la note juste
le rythme juste

dans le silence ce bruit de se débattre encore

contrer l’évidence
contrer le fait
contrer

leurs trois corps désormais gris bleuté argenté
leurs griffes fines soudainement figées
dans ce dernier geste d’agripper la paroi lisse
de l’arrospoir : l’espoir de l’arrosoir

[avec une cantate de Bach un matin lumineux en Finistère]

 

perpétuation de l’espèce ::::::

 

 

 

opinions de X Y & Z
opinions de terre battue
opinions des disparus
opinions générales
opinions de A à Z
opinions sans conviction

odeurs de légumes
en cuisson légère
soulever le capot
regarder le moteur
en roue libre
éteindre le feu

caddie sur terrasse
linge au vent
juillet passant
questions sans réponses
sangles sociales
de plus en plus serrées

points de vue
rapports d’experts
dispositifs adéquats
participation aux frais
course à pied
futur antérieur.

                                                                                                                                                    Silo coopératif – 1934 –