D’un coup le lancer.

 

 

Quelque chose est lancé par quelqu’un. Quelqu’un lance quelque chose. Lance juste. Ce qu’est ce juste : le quelque chose tombe sur un tissu blanc recouvrant une plante, le déchirant, plante devenue instantanément visible, verte et vigoureuse, haute d’un seul coup.

Un geste sans adresse particulière, sans intention, sans projet précis, fait surgir une plante au regard, et : oh ! surprise générale.
La chose a atteint sa cible, non prédéterminée ; le lancer était au jugé. Conjonction d’un hasard non seulement incroyable – la cible atteinte – et d’un agir puissant : la plante dans son pot pousse subitement et bellement.

L’être pousse quoi qu’il arrive, avance quoi qu’il arrive.

Quelqu’un lance quelque chose, qui touche le tissu recouvrant la plante ; la plante croît immédiatement et crève le tissu. D’un coup le lancer.

lorsqu’il y a le jour trop de jour

 

[pour Frank Ronan]

laissant le piano et ses trilles
ses ralentis ses insistances
aller
un carré d’enveloppe un peu d’encre
un timbre Septembre

l’écrivain irlandais du fond de ma mémoire
mon voisin à la campagne
les roses trémières qu’il plantait
éclosaient comme il respirait

jour de grève

nous avions autour de trente ans
au bout du village
il écrivait comme il respirait
ses roses trémières noires
avaient éclos dans mon jardin
dessinant des lianes devant la rivière
invisible

jour de blocage

temps rabattu comme un trench
pans ceinturés
silhouette sur le chemin
près des ânes et des ronces
dans la fraîcheur toujours redite
de septembre

autre ailleurs du jour qu’il y a
trop de jour

                                                                                                          détail de l’exposition Art brut au Grand Palais

– – – s’échapper par la voie rapide – – –

 

 

les guerres se répètent
les guerres s’aiment étroitement
il existe des alignements de pierres
le regard embrasse
toutes les lignes de fuite
le regard partout terrassé
il existe des lignes de fuite

je n’ai rien regardé
rien gardé
des guerres devant les gares

. absentée .

                                                                                                                      Gilles Aillaud, Grille n°2, 1964

trois lézards morts dans l’arros(p)oir

 

 

devrais-je le dire
devrais-je dire
devrais-je ?

un sens de l’exhaustivité mêlé à un sens aigu de l’ellipse

un temps plus loin
un temps d’avant
un temps mort
un temps

recourir aux artifices qui masquent et enjolivent

la hauteur juste
la note juste
le rythme juste

dans le silence ce bruit de se débattre encore

contrer l’évidence
contrer le fait
contrer

leurs trois corps désormais gris bleuté argenté
leurs griffes fines soudainement figées
dans ce dernier geste d’agripper la paroi lisse
de l’arrospoir : l’espoir de l’arrosoir

[avec une cantate de Bach un matin lumineux en Finistère]

 

perpétuation de l’espèce ::::::

 

 

 

opinions de X Y & Z
opinions de terre battue
opinions des disparus
opinions générales
opinions de A à Z
opinions sans conviction

odeurs de légumes
en cuisson légère
soulever le capot
regarder le moteur
en roue libre
éteindre le feu

caddie sur terrasse
linge au vent
juillet passant
questions sans réponses
sangles sociales
de plus en plus serrées

points de vue
rapports d’experts
dispositifs adéquats
participation aux frais
course à pied
futur antérieur.

                                                                                                                                                    Silo coopératif – 1934 –

Canicule, petite chienne.

 

[octobre 2005 – l’histoire bégaie -]

Nous allons fondre, disent les responsables. A ce degré près – ils donnent un degré -, c’est la fusion.

Les ordinateurs d’abord, les femmes et les enfants ensuite. Les recommandations sont précises et ordonnées. Nous devrions pouvoir les suivre, elles comportent, outre les classiques chiffres croissants, des nuances de couleurs. Les alertes deviennent colorées, n’importe quelle alerte se colore. Une alerte ne peut pas en tant que telle rester telle. Des couleurs sont inventées afin de répondre aux besoins des populations devant être calmées. Il faut frapper les esprits avant la combustion définitive, redéfinir les mots, voilà leur solution.

La redéfinition des mots se poursuit. Beaucoup trop de mots pour dire, décrètent les autorités, il faut réduire drastiquement les effectifs, observer les mouvements d’indépendance, rester vigilants devant les sens surnuméraires. Il faut que la circulation du sens reste univoque, qu’à vert, on passe, qu’à orange on hésite, qu’à rouge on s’arrête, et enfin qu’à aubergine mûre on ignore définitivement ce qui pourrait advenir de nous.

Une très sommaire pensée colorée nous est donc imposée, sous forme de stades, de phases, pas plus de cinq, cinq est un grand grand maximum. Certains d’entre nous pensent que c’est un tournant, d’autres persistent à picoler joyeusement en se disant que l’avenir est encore devant, ou bien qu’à l’échéance fin de siècle nous serons morts, et alors on s’en bat les couilles. Et les enfants qui hurlent l’été, justement (leur joie de vivre) auront à ce moment cessé de le faire puisqu’il n’y aura plus de nécessité d’en faire, des enfants. C’est la fin de la reproduction de l’espèce, juste ça, que ça, la fin. Nous allons pouvoir exister encodés primaire (trois-quatre, cinq maximum, types de réactions). Nous nous réduisons à la cuisson, nous allons au feu, nous cramons, nous cancérons d’inconnues pathologies, nous nous abîmons dans l’indicible torpeur de l’été durable.

Cela en peu de mots, cela, en traduction simultanée des grandes orientations économiques (le développement durable, nouvelle version du syntagme figé après le célèbre chemin de fer), en équivalence systémique, désormais terriblement systémique, entre les variations climatiques désormais de très grande amplitude, l’économie imprévisible, l’érotisme essouflé du productivisme performant, les pesticides, le terrorisme et les pandémies, et l’ennui, le très grand ennui des populations occidentales désormais privées de chemin de fer.

Des peuples meurent ; on découvre de nouvelles planètes. Extase.

Nous vaquons à nos occupations, un peu ralentis, suants et gluants, subordonnés mais suants. Nos cerveaux récupèrent difficilement de ces degrés supplémentaires que nous avons fabriqués au fil du temps, des siècles, la doxa des media nous l’indique à intervalles réguliers de sorte que nous ne l’oubliions pas. Le travail, particulièrement, devient pénible, n’importe quel travail. Cependant, les autorités continuent à dire qu’il faut travailler. Or, non seulement il n’y a plus assez de travail disponible, mais en outre la chaleur neutralise les mouvements productifs. Nous avons les pieds qui gonflent, par exemple, ainsi que les creux poplités.