– illimiter le fini –

 

 

 

il est né
il fut
de une de deux
et puis rien

c’était peut-être un dimanche
ou un lundi
ou un vendredi
les plantes se trouvaient mal
il leur fallait une autre histoire
de l’espace
plus ou moins d’eau
moins de métaphysique peut-être

naissant il disparut
comme au coin de la rue
une évanescence
s’il fallait absolument
trouver le mot

qui cherche ne trouve pas
qui trouve ne cherche pas

l’esprit volubile
se répand paisiblement
dans le néant
ou plutôt dans la mare en bas
et s’y noie

 

[inspiration certitude ton tonalité gouache objet manquant]

– – – ”les petites douleurs”

 

 

je maintiens l’attention
si les mots sont éloignés
il faut m’en rapprocher
les mots sont la substance
les mots durs
les mots densité

 

je maintiens l’attention
lente comme un éléphant
je fais attention
aux autrefois surnuméraires
je maintiens l’attention
malgré les bulles de savon

 

les mots si éloignés je les siffle
ça ne marche jamais
ils me lassent
voir le mouvement ample
du bras semant
encore une fois seulement.

Tout l’Univers, n° 153, du 23 au 30 septembre 1964, détail de la couverture : ”un ingénieur en électronique contrôlant le lancement d’une fusée”.

à défaut dans les circulations >/<

 

il y aurait un article indéfini
& un verbe à l’imparfait du subjonctif
sans aucune concordance des temps

aucune

rien ne soulèverait de questions

rien

les alignements seraient conformes
à l’édiction des règles
autour des manques élémentaires

 

machines épuisées
rotors fragiles
embrayages divagant
souligneraient les gouffres conceptuels
des temps présents

 

et ça ne suffirait pas, non.

                                                                                           El Lissitzky, Proun* 2 (Construction), 1920 – détail –
                                                         * acronyme russe signifiant ”Projet pour l’établissement du nouveau”

l’image, comment t’est-elle parvenue ?

 

il s’agit de Trieste, plus précisément du port de Trieste,
de l’endroit où il y a de l’eau et des bateaux,
mais aussi des bâtiments vénérables & nonchalants
de pierre blonde

il s’agit de cafés profonds et de façades sculptées,
à ne pas savoir trier les statues d’écrivains,
pauvres témoins de ce qui eut vie ici

comment, du regard étalé, proviendrait
celle qui te surprit : l’image ?

comment les neurones se sont-ils connectés
et qu’adviendrait-il, en un moment inusité,
d’une image, celle de Trieste ?
pas de réponse

une autre, qui ressemble à une de Provence
tant décevante,
d’amandiers donneurs d’amandes à ramasser,
de colline à gravir en suant
vers une chapelle modeste mais dominante
à chaque vent ouverte,
s’intercale sans préavis

Trieste a disparu, triste un peu resté,
depuis une éminence gravie
regarder d’une position dominante
la beauté déclarée des oublis empilés.

”et à part l’écriture ?…”

 

 

à maman, fortement !

 

les humains tout petits comment
sont debout sont droits sur leurs jambes
les humains tout petits vont d’un point à un autre
dans l’espace et le temps
vont au même endroit
en sont au même point

les humains vont encore
vont et viennent dans le décor
les humains moins un moins deux
les humains à l’horaire soustraits
s’en vont remerciant à qui mieux-mieux
se bousculant dansant
dans une éternité retrouvée
cette si souriante éternité

les humains se causent inutilement
les humains tout petits comment
restent là où il sont
c’est toujours le mieux
ou sautent dans l’ailleurs
c’est toujours l’herbe plus verte
toujours l’heure de l’élan d’avant
jamais l’heure du maintenant

les humains tout petits s’égayent
comme ils peuvent avec leurs vieux outils
leurs spectacles leurs confiseries
la redevance de leur être si chère
qu’ils la confisquent dès que possible
au détriment de leur existence

à la fin du feu craquant

 

 

tous les enfants en scène s’il vous plaît
tous les enfants en scène merci
il y faut des points d’exclamation
et des pas chassés
des ternaires appuyés
filles vers garçons deux par deux

de flammes sans air
feu craquant

flammèches s’élancent
ce sont les circonstances
qui font les ardeurs dégringolées
les souffles longs les aspirations

tout ce qui s’embrase s’élève et accélère et cède
entendre le final de l’opérette
leurs sourires choraux satisfaits
le bousculement symphonique
pour que la fin soit fin consumée
à la fin du feu craquant…[Da Capo al Coda]

– considérations énervées sur le feu –
le feu a besoin du petit secret mais avant d’en arriver là,
il lui faut de l’air, beaucoup d’air, il a besoin de verticalité et de rondeur
mais surtout de séparation
il faut qu’il puisse s’exprimer, qu’il ne soit pas étouffé
sinon il fume, rageusement, il fume et enfume

le petit secret c’est tout au bout quand il a brûlé.

Peinture de Nikolai Makarov, Museum der Stille, Berlin