à la fin du feu craquant

 

 

tous les enfants en scène s’il vous plaît
tous les enfants en scène merci
il y faut des points d’exclamation
et des pas chassés
des ternaires appuyés
filles vers garçons deux par deux

de flammes sans air
feu craquant

flammèches s’élancent
ce sont les circonstances
qui font les ardeurs dégringolées
les souffles longs les aspirations

tout ce qui s’embrase s’élève et accélère et cède
entendre le final de l’opérette
leurs sourires choraux satisfaits
le bousculement symphonique
pour que la fin soit fin consumée
à la fin du feu craquant…[Da Capo al Coda]

– considérations énervées sur le feu –
le feu a besoin du petit secret mais avant d’en arriver là,
il lui faut de l’air, beaucoup d’air, il a besoin de verticalité et de rondeur
mais surtout de séparation
il faut qu’il puisse s’exprimer, qu’il ne soit pas étouffé
sinon il fume, rageusement, il fume et enfume

le petit secret c’est tout au bout quand il a brûlé.

Peinture de Nikolai Makarov, Museum der Stille, Berlin

des hivers intérieurs / s’appeler violons

 

 

violons zézayant, hautbois,
harpe scandant, flûtes longues,
accélérations, roulements de tambour,
orientalisme, coup de gong,
doigts précipités sur darboukas,
persistance des zzzzz des violons,

secouement de tubes remplis de grains,
montées chromatiques des violoncelles,
reprise magistrale par le chef et sa tête
c’est la même chose : caput

et le piano, de syncopes et de retraits vifs
comme mains brûlées sur casseroles
lenteurs d’un xylophone soudain,
menace possible de trompettes,
grandiloquence instrumentale

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bien-être conclusif, caressant, éclairages,
certitudes feutrées,
échappée de lumière vers couloir serti de livres

corps allongé sur canapé
piano Superman
pianiste peintre sculpteur

être Bach, oh, être lui, être seul, toujours,
dans le palais de la mémoire vive.

Johann Sperl, Ferme à Betzingen, 1873 (décadré) [Alte Nationalgalerie, Berlin]

avant que j’oublie /

 

 

j’ai fait une soupe
MAIS je voyais la page autrement
je suis déçue de la page
je me coupe le pouce
en coupant un légume
je crois que c’était une courge
j’aimais pas les soupes de mémé
mais maintenant c’est la mienne de soupe
ça n’a plus rien à voir
c’est même plus une soupe c’est autre chose
qu’une soupe c’est une soupe la mienne
je me coupe le pouce
je fais cramer le moteur du mixeur
une flamme sort du mixeur
j’ai très peur j’ai vu la flamme sortir
j’ai fait une soupe flamme
j’ai débranché le pied-mixeur
tout ce qui écrit est vrai
tout ce qui est orange est une soupe
je nie le fait que c’est une soupe
c’est une orangée crémeuse
c’est à peine même pas même plus une s.
je me coupe une soupe me loupe
et la page se change
elle court dans le dressing et se change
elle ressort bien nette

c’est la post-vérité soupée
tout est vrai même mémé.

les oeufs de lump dominicaux ~

 

aux quatre autres
(on n’a pas fini de rêver)

 

c’étaient des mots petites billes noires
sur tartines sèches grainées de sésame
en petit tas liées par un ordre doux
texture fondante maintenant les grains
à l’intérieur d’un système ~

les oeufs de lump noirs du dimanche soir
quand le ciel s’obscurcit
qu’il était temps d’installer avec le thé
l’ensemble des nourritures ordonnant
le goûter-dîner rituel de six heures ~

un allant résolu de règles allemandes
du tôt manger tôt coucher
aux mille bornes sous la coupole de lumière
donnait à leurs dix mains mobiles
le choix de prises aux cris sans excès ~

des mots petites billes noires
d’un discours savant & lié
en bouche éclataient d’un jus salé
des mots petites billes noires
saturaient l’obscurité du dimanche soir ~

ce qui est éprouvé, non ? et pas fini –

 

 

(…) avec le teint jaunâtre et bilieux du Malais,
émaillé ou plaqué d’acajou par l’air marin,(…)
Thomas de Quincey, Confessions d’un mangeur d’opium

(glissade sur description, passage glissé)

lisant l’hiver enfoncée dans le canapé
l’exacte sensation de glissade sur les descriptions
de l’enfance lisant et lisant tout en glissant
déjà glissé plus loin toujours plus loin
sur les descriptions long toboggan longue glisse
et revenir deux pages en arrière
glissantes glissando glissant
tous les livres toutes les pages
toutes les pages encore tous les livres
sur la table en attente tous les livres
sur lesquels glissent les yeux se tournent les pages

et son corps cambré dans une attitude d’indépendance

glissade glissade
page tournée phrase d’avant phrase d’après
passage omis paragraphe glissé

On ne pouvait imaginer tableau plus frappant
que le contraste offert par le beau visage anglais de la jeune fille,
sa blondeur exquise —————
et son corps cambré dans une attitude d’indépendance,
—————— avec le teint jaunâtre et bilieux du Malais,
émaillé ou plaqué d’acajou par l’air marin,

glissade d’hiver sur canapé enfoncée
de l’enfance l’exacte sensation
de la glissade glissando glissante répétée
dans le fond des phrases, grisante glissade
au fond du lire sur ses pentes accélérées
jusqu’au point même du point ——————
ses petits yeux farouches et inquiets,
ses lèvres minces, ses gestes serviles et ses révérences.

                             

  Jusepe de Ribera, Une chauve-souris et deux oreilles, vers 1620-1623.
Inscription ”Fulget semper virtus” (La vertu brille éternellement).

– un infime petit récit –

 

 

(comme un trombone pour attacher quelques feuilles)

trombone jamais seul
paquets de feuilles blanches écrites
geste de tapoter les feuilles
pour égaliser leurs bords
feuilles remplies d’écritures
séparer les tas
les disposer sur la table
les ranger
les tromboner
métal ou plastifiés couleur
les trombones se choisissent
parmi un monticule
deux ou trois doigts fouillent
l’oeil évalue et distingue le trombone

trombone seul à attacher son tas
restera particulier si rouge ou vert
ou seulement métal plus malléable
tas devenu liasse par l’attache
le geste preste un deux trois
reconnue rangée classée
encore un trombone
passe-le moi merci
j’en ai plus t’en as ?

Une demande de brevet américain pour une machine-outil destinée à produire ce type de trombone est déposée le 27 avril 1899 par William Middlebrook à Waterbury (Connecticut).
Le brevet (U.S Patent No 636272) lui est accordé le 7 novembre 1899.