perspective européenne

 

 

L’ÉCOCOMIQUE

(Plate-forme programmatique 2004)

 

1 . Les gens louches (Polaroïd mosaïque).
2 . Positionnez : pas de nez.
3 . Ose européenne (2004).
4 . Contrôle technique (besoin de la société).
5 . Labyrinthe (les 4 coins pour rentrer au (ca)niveau mondial).
6 . “Je suis imbranlable”.
7 . Président de l’Europe du Monde.
8 . Les écononiqueurs.
9 . Il faut du sens, il faut de la surface.
10 . Un discours d’humain de gauche (& tu gardes l’humain de droite dans ta culotte).
11 . J’aime pas les mecs qui font plus que moi.
12 . Chaque personne est un courant (court après le hareng).
13 . On est un…(j’ai oublié).
14 . Y faut faire tout comme y faut faire.
15 . On ne peut pas enculer tout le monde (tant de regrets).
16 . Genre de bis : y a qu’à faire ce qu’y faut faire.
17 . Excusez-moi, c’est pas du 16, c’est du 1.
18 . Du moment que chuis élu (contraction), j’mens fous – 15 fois.
19 . Tais-toi quand le fasciste parle.
20 . Fracture sociale : où est le plâtre ?
21 . Les Français comprendront pas. Vous n’intéressez pas la France. Les Français attendent des réponses claires à des questions qu’ils n’ont pas posées. La réponse est plus importante que la question.
22 . On fait le discours.
23 . Il vaut mieux récurer que de se laisser envahir.
24 . Ils ont pas fait autre chose, les autres.
25 . C’est juste une parenthèse.

alias Copy Right

                                                                                                                                          artiste inconnu, métro, 2024

ne manque rien

 

 

 

le silence

Pessoa (re)

face au vide plein

théorie du gâchis, de l’en-dessous

& peu d’atermoiements

à se dire quelque chose

si tant est que

 

assise sur le bord de son lit
l’actrice se remémore les scènes
sur lesquelles elle parut il y a si longtemps
– dans sa bibliothèque un rayon Mélancolie

 

du bout de son pied nu elle déplace
quelques grains de poussière
s’émeut d’un rayon transperçant le gris
et d’un gros oiseau parcourant le pré

 

il y a toujours une fenêtre
depuis laquelle observer
la fusion de l’air et de l’esprit.

D Day ou un autre, ode à une tulipe

 

 

tu as raison de faire comme tu fais
tu ne saurais avoir plus raison
que celle qui fleurit et se fane
rouge mais pas pivoine

tulipe ! tulipe ! tulipe sans verbe
et jaune et rouge aux larges pétales pavanés
sans infante défunte aucune

ces tombes abandonnées
ces noms qui se répètent à l’envi
ces petits morceaux de verre violet
et vert et blanc tout mélangés
en ratatouille de verre étalé
leurs oripeaux d’étain manifestant
qu’eux ont été il y a un siècle

tulipe insistante malgré le rouge déjà passé
de tes trop grands pétales encore tenus
et dont le vent chavire ta tige
dans son étroite plate-bande

tulipe ! comme un mot d’ordre claqué
à la tête des empires
qui crânement propose et promeut
depuis tes attaches fines l’effet d’un drapeau fou

tulipe ! à ta raison qui s’échappe
personne ne peut répondre
tu ne saurais avoir avoir plus raison
que celle qui fleurit et se fane.

                                                                             La Dame à la licorne, ”À mon seul désir”, entre 1484 et 1538

 

[derechef lié à quoi : paf]

 

 

 

c’était si loin je ne me souviens pas
je ne me souviens pas
je ne me souviens de rien
c’était si loin
au loin je vis
au loin je voyais
il y avait
il y eut
c’était si loin
une cour des arbres
une fenêtre
au loin je voyais
au loin je vis
et je vis
je vis
je vis…

Étagères à impressions (à propos)

 

 

 

     Tous ces gens qui vont à la campagne. Avec des chaussettes trop hautes, ou trop brillantes. Oui. Ils pourraient y aller seulement de temps en temps. Mais tout le temps ? Oui. Ils croient qu’il en ont envie. Qu’ils ont envie de chemins herbus, de champs, de ruisseaux. Oui, c’est vrai, ils ont envie de chemins larges, de la matérialité des mots dans les champs.
     Pardon ? Oui, ils ont envie du vert en brins, de cailloux pas trop aigus, de petites surprises animales, de faisans en bord de route. Mais qu’est-ce qu’il faudrait qu’ils fassent ?
     Rien. Il n’y a rien à faire. Ils peuvent déambuler sur les grands boulevards. Il n’y aurait pas de crapauds. Ça non. Ni d’insectes aux noms compliqués. Oui, ni de fleurs, et caetera. On peut vite résumer leur envie de campagne : elle est le résultat d’empilements sémantiques. Euh. Oui je sais, tu n’aimes pas ces mots, je suis désolé, remplaçons-les par étagères à impressions. Ils ont des impressions, qu’ils rangent dans des étagères. Oui. On ne peut rien en dire. Non.

     Je n’irai pas chez Jean. On est obligé. Non. Je n’irai pas, un point c’est tout. On verra demain. Ce soir c’est trop tard. C’est toujours trop tard passé un moment. On n’y peut rien. Non plus.
     Finalement j’irais bien chez Jean. Tu as ton manteau gris ? Non, le bleu. Ce type me rend fou. ??. Sa manière de jouer du clavecin. Je me roulerais par terre de plaisir. Mais le sol est spongieux. Oui, il l’était tellement que je marchais dans le mot, pourtant avec précaution. Sol détrempé, autrement dit, mais aucun intérêt de le dire comme ça. Spongieux avec intérêt. Oui. Les Variations Goldberg me rendent fou.

     Qu’a-t-il dit, Jean ? Qu’il n’aime pas les courants d’air. Et donc ? Et donc qu’il se calfeutre, qu’il évite la proximité des fenêtres, des cheminées inutilisées, mais parfois c’est inévitable : le courant d’air est là, c’est un flux à mi-hauteur, il est obligé de se baisser comme pour éviter un javelot invisible. Ah, je ne le connaissais pas sous cet aspect.
     On ne connaît jamais quiconque sous aucun aspect, regarde Mirabelle…Quoi ? Elle vient là, elle s’installe, mais en même temps elle parle sans arrêt au téléphone, elle s’éloigne, elle n’a pas besoin de chuchoter, elle s’éloigne un peu, le cadrage la montre dans une voiture, ses doigts bougent un tout petit peu sur le volant, puis un grand mouvement de la main montre un agacement, peut-être, une impatience, quelque chose.

     Que pensez-vous Frédéric ? J’aime bien vous appeler Frédéric, je ne connais pas votre nom. Je sais, c’est un prénom. Je ne connais pas plus votre prénom que votre nom. Nous n’allions pas à l’école ensemble, non plus. Constat : il y a encore des écoles. Et des sorties d’écoles. Des professeurs et des élèves. Malgré la “déficience des services publics” et la “montée en flèche” de l’IA. Encore des écoles. Frédéric dit à ce moment : oui, mais pour combien de temps ?
     Il est pessimiste, Frédéric. Il est né pessimiste, mais pas dans l’empire austro-hongrois, hélas. Il n’a pas la grandeur qu’il aurait rêvé d’avoir, cependant pas l’espérance de vie réduite de l’époque non plus. Il risque de mourir vieux de plusieurs pathologies superposées.

     Les étagères à impressions, il faut y revenir inlassablement, parce qu’elles constituent le socle des vies contemporaines. Les idéalisations. Les rembourrages de l’ego, le rehaussement, le se pousser du col, l’est-ce qu’à beau comme aurait dit L. Oui. Tu pourrais préciser ? Non. L’est-ce qu’à lier aussi.

     Il faut pouvoir aimer la fin, faire des fins. Et des débuts ? Aussi, bien sûr. Tu dis souvent “bien sûr” alors que tu n’es sûr de rien ? C’est vrai. Aimer la fin, le début, l’objet, c’est d’abord y croire. Possible, possible. Je vais sauvegarder. Bonne idée : sauvegarde ton incroyance. Au bout du compte, tout se dégonfle.
     Tout ? Oui, tout. Ne reste que des petits paquets de muscles, de nerfs, un peu de sang, tout ça dans un fonctionnement approximatif. On les mettrait dans un livre ? Oui, mais sans début ni fin. Ou dans une baignoire, à flotter.

Jardin des Doms, Avignon

« L’enfant fini », par Philippe Rahmy (sept. 2015)

 

[Un “en cours de lecture” retrouvé : lumineux, inspiré, érudit,
qui me fut adressé
avant la parution du livre, par Philippe Rahmy]

 

Trois phrases par lesquelles j’ai fusionné avec l’écriture, après y être entré (touchant au projet d’écrire après avoir été touché par l’écriture) :

1.« Jasper est cet enfant se regardant être un enfant. »

2. « Jasper aimerait bien reparler avec Clemence Valenti, en savoir davantage sur elle, pour cela il doit faire l’effort de l’inventer, comment pourrait-il réellement, et serait-elle là, à l’attendre, c’est absurde, comment ? »

3. « Le va-et-vient naturel de Jasper avec le monde […] »

= = = = = = = = = =

Notes en cours de lecture :

Hoboken. Sur l’autre rive, Hoboken. Wikipedia dit qu’il existe un mémorial en projet à Hoboken, mémorial du 11 septembre 2001, une trace du/au futur ? et la ville de naissance de Frank Sinatra ?

Magnifique description du temps élastique des joueurs d’échecs.

Il suffit de montrer la possibilité de Jasper, pour que Jasper existe. Mais tout est effacé avant d’avoir débuté. Cet anéantissement comme naissance. La durée de cette naissance, comme une enfance. Comme Jasper. New York, l’Amérique, le monde stupéfié qui balbutie des pistes, des possibles, sachant qu’elles peuvent être effacées, et, pire, oubliées, car désormais, après la catastrophe, tous les trajets sont hypothèses, même le chemin le plus court entre Ground Zero et le musée, tout est et sera perpétuellement remis en cause par l’effet incessant des causes imprévisibles. Chaque parole peut être déparlée. Ces causes, on perçoit leur action, leur présence : dans le bruit, la vitesse.

Une catastrophe inédite. Formuler le sans-nom, ne pas le formuler, lui donner corps, naître de ça.

Il suffirait pourtant de montrer, comme la liseuse à la fenêtre, comme le tableau de Fromentin, de montrer la catastrophe. Impossible. Alors montrer l’impossible. L’aporie-Jasper.

Le jeu récurrent entre les interstices, les écarts, les isotopies disant la séparation, et l’isotopie contraire/complémentaire de la fusion : l’eau, les ponts, le désir d’Europe, la croissance, l’âge adulte, etc. (questionnement du temps qui hésite entre temps du devenir et temps éternel). Le liant (« ce qui manque ») est décrit comme « éclair », il peut être perçu par Jasper dans les yeux liquides de Clemence, de Clemence comme son autre, ou dans l’image de la « farine pulvérisée » (cendres–> « Der Tod ist ein Meister aus Deutschland »–> « tes cheveux de cendre
Sulamith »–>Celan–> la catastrophe inédite, naître de/après la Shoah).

En Europe, matrice de la catastrophe, première et indépassable catastrophe. Regarder l’Europe, regarder le carnage de la Shoah. Le voir se refléter dans le miroir des tours de NY. Comment ? Impossible superposition. Pourtant écho. Naître « après ça »…

Le dessin de l’autiste survolant Manhattan réaliserait le prodige du monde réunifié ? La réparation « cicatricielle » du pêcheur sur le ponton, cet instant, soudain, donné comme épiphanie (cf. C. Simon, temps suspendu, éternité du monde fracturé, pourtant expérience d’une complétude).

Les automates, le mouvement saccadé, entre vitesse et immobilité ; projet héraclitéen d’appariement des contraires : le geste saccadé réalise, à sa manière, la fusion/suture/appariement entre le délié, le monde a-problématique, l’idylle d’avant la catastrophe, l’impensable « avant » et l’anéanti, le présent informulable.

Du pouvoir de la fiction. Le remède dans le mal ? Starobinski/Rousseau : Jasper, ou la fiction au chevet de l’Histoire. Du pouvoir de l’image… il suffirait de montrer (pourtant, sur le ponton, à côté du pêcheur, contemplant la perfection de cette image, Jasper se sait à côté de l’image, séparé). Le monde recousu demeure fracturé par son extérieur, par le regard.

La passion des visages chez Jasper. « Il n’en a jamais fini avec les visages » -> Levinas et les visages : le visage, antidote à la destruction, humanité.
De « l’abîme des profondeurs aquatiques » à la lumière des visages, au visage des victimes, au visage de « Clemence ».

Vieille Europe et jeune Amérique autour du jeu d’échecs. Rapport crypté au monde, un langage de survivants (Perec), distinguant Clemence et Jasper : ils se parlent et ce sont des possibles qui se répondent, d’infinies listes de situations, de noms, de visages pétrifiés, d’innombrables vivants et d’innombrables victimes qui se regardent en silence, quand ces deux-là se parlent et s’inventent ; on serait alors avec « L’enfant fini », on ne le quitterait plus jamais, prolongeant la partie, la plainte et la joie, l’enfant infini multipliant les fugues et les spirales, comme un enfant fractal accordant encore une chance à la vie au moyen du langage.

[Le livre est toujours commandable chez l’éditeur]