une lumière rose sur la Beauce

 

 

j’ai cherché des lieux
cherché encore
lieux où être
lieux composés

j’ai cherché des lieux
je les cherche encore
tracés jusque là
au pas jusqu’ici

pas à pas les arpenter
lieux de mémoire inventée
quand la mémoire
quitte les lieux

je les pensais
je pense les lieux
les rassemble les retire
les use les oublie

j’ai cherché encore
des lieux sur la route
impossible d’accorder
la route aux lieux

entre « z » et « s »
la route propose
une lumière rose
sur la Beauce

diminution des capacités I et II

 

 

I – l’homme papa

 

cette : perdition
ce : tournoiement de mots impuissants
dans les : pensées tournantes
volantes : qui circulent et tournoient
de gauche : à droite
sans jamais : se poser

l’homme papa : dans un couloir errant
dans ce couloir : chambres avec numéros
sa chambre : perdue
le numéro : perdu
juif errant : homme pleurant
papa perdu : volutes de pensées instables

le couloir : sépare et conjoint
les chambres : paires et impaires
l’homme papa : dans la chambre paire
pas la sienne : pas à soi
ne retrouve plus : l’impaire
sa chambre : monde disparu

monde dans lequel : comment être ?

 

II – la femme maman

 

dans le couloir : tenter de remarcher
lentement : un pas après l’autre
s’appuyer : sur le mur
se hisser : hors du fauteuil roulant
sans le bras gauche : mort
avec la canne : quadripode

la femme maman : hémiplégique
dans le souci de : l’homme papa
de l’autre côté : du couloir
elle dans sa chambre paire : lui venant
sans cesse revenant : dans sa chambre
sans cesse : cherchant quelque chose

le couloir : leur vie
l’homme papa : chercher
la femme maman : marcher
c’est pas une vie : le couloir
c’est pas une vie : les chambres à numéros
c’est pas une vie : leur vie

monde dans lequel : désêtre ?

[& même s’il y a un jardin, des visites, des amis, des enfants, des couleurs, du soleil…]

 

                                       © Jérôme Borel, Sur le carreau (peinture acrylique, 160 x 200 cm), 2021 (détail)

 

 

 

 

 

la boîte à livres et ce qui s’ensuit /

 

 

 

plus placard que boîte, haute et bleue
à deux battants vitrés
à livres : livres rangés, livres couchés,
la boîte à livres et ce qui s’ensuit
un moteur tourne c’est une moto grise
un moteur tourne c’est une voiture bleue
deux hommes se parlent puis démarrent

une main sur la poignée
couverture blanche écriture bleue
des éditions du coeur de la nuit
l’écrivain vivant d’un livre reconnu
appelle l’antan d’une France capitale
titre, auteur, éditions comme une finition
la boîte à livres et ce qui s’ensuit

boîte à déchets de ce qui ne s’écrit pas,
restes sous couvertures criardes
non pas livres, mais lovres, luvres, louvres
aux pages, piges, puges jamais tournées
plus placard que boîte, haute et bleue
au milieu du village de l’écrivain national
ses vitrines passées au blanc de Meudon

et ce qui s’ensuit après que ses battants
furent refermés, la boîte à livres /

pas d’idée sauf Naday

 

 

s’attend quelque chose
quelque chose s’attend
blanc

Naday l’animal inexistant
ni mort ni vif
inexistant

patience et longueur de temps
traversant
encore

forme cheminante
ru serpentin
disparu

caché toujours caché
rien à trouver
trou.

 

 

 

« C’est une maladie », dit-elle.

 

il y eut une réponse, deux, plusieurs, plein,
comme il y avait des livres, des livres par centaines
dans des cartons,
et puis les mots n’eurent plus aucune résonance
puisqu’ils se perdirent dans la poussière des pages
tournées par des doigts avides

Un homme va sur ses trente ans, on n’en continue pas moins à le trouver jeune.
Ingeborg Bachmann, La trentième année, 1961.

j’en ai marre ! c’est pour ça qu’il y a tous ces cartons
faut que je m’en débarrasse, de tous ces livres,
c’est aussi ce que je me dis, pourquoi continuer à en acheter ?!
c’est une maladie,
mais que ces mots sont beaux !
or, dès qu’un nuage passe, ils s’ombrent de rien…

L’habitude se reconnaît dans un circuit mental rapide et paresseux.
Georges Lambrichs, Une confidence, in Pente douce, 1972.

j’en prends deux c’est déjà ça !
trois, quatre, tout ce que vous voulez,
c’est pourquoi je les mets à un euro, il faut que je m’en débarrasse
oui, mais il faut… oui, je vous ce que voulez dire, il faut…
de la place ! de la place !
il y a beaucoup de L.H., non ? oui c’était sa bibliothèque…

Bien ! Je voulais écrire mon livre et je disposai ma vie pour ce faire.
Eduard von Keyserling, Une expérience amoureuse, 3 août 1900
(Trad. de l’allemand par J. Chambon).

:: paysage désactivé d’eux ::

 

[à eux]

paysage désactivé voir ce que j’en fais
maisons disposées sur les collines
serrées entre elles se chevauchant

oh les beaux nuages presque dessinés
j’ai jeté ce livre de Bonnefoy trouvé
n’en voulais pas trop de Dieu dedans

les branches du figuier les fleurs des iris
faire une photo d’eux se tenant debout
décor voiture rouge foncé portail ouvert

je devrais photographier les branches
du figuier voici ce que je dis en me garant
à les toucher ces branches fières
et leurs feuilles nouvelles si vertes
je tourne le gros bouton des fréquences
difficile d’entendre la radio grésiller

le regard ne fait que voir sans faire
maisons au loin dessinées collines
paysage désactivé par leur absence.