situation telle qu’elle est

situation telle qu’elle est
de la cave au grenier

examinant les devers & les travers
ruminant davantage pourparlers
aux tables officielles
sautant sautillant ondulant
tel un petit fretin au bout de sa canne

situation telle qu’elle est
de la cave au grenier

préoccupé lièvre étonné dans le champ au loin
de la vue dégagée se cacher
par bonds successifs impromptus d’Alice
résurgence d’un langage enfoui dans les blés
déjà prématurés déjà grillés

situation telle qu’elle est
de la cave au grenier
répétant l’inacceptable accepté
répétant l’inertie la lenteur la paralysie
répétant l’impuissance politique
des creusements dévidés
des accents partagés
des inimitables broderies rhétoriques
des chantournements sémantiques
des déraillements insolites

de la cave au grenier
situation telle qu’elle est : apocalypse now
encore un film
encore à voir
encore un peu de la

/// situation telle qu’elle est
de la cave au grenier ///

Fdf de 50 ans (éclairage / extinction)

22 juin 2007.
Nature morte.

Le rien ne se passe : figure obligée d’entre choses se passent ?
Entre choses se passent rien ne se passe.
Peu de choses cependant se passent réellement.

Des images appellent des images, c’est pourquoi je ne les aime pas beaucoup.
Un film ; des personnages ; des bruits de nature claire ; des bruits très bien imités ; des regards ; de l’amour.
Lady Chatterley. L’amour et puis. L’amour se regarde être l’amour.

Ça fait mal, ou pas. Ne pas sourire. L’amour dans le sérieux d’un regard.
Des bruits d’oiseaux, au fond, des vrais, là-bas dans le jardin.
Ou des faux, dans le film.
Enfilade de bruits d’oiseaux, enfilade d’oiseaux, petits oiseaux.
Bruits d’oiseaux de film ; nature de film ; personnages de film.

L’amant ne veut pas savoir si elle a aimé des hommes.
L’amant pose des questions.
Les questions arrivent très vite après les gémissements.
Un gémissement ne peut pas rester tel que.
Le temps des gémissements passe très vite, et ainsi de suite jusqu’à la fin des temps humains.
Ensuite la tendresse, etc. Affadissement, étreintes, douceur, perplexité.
Action ! Moteur. (Le moteur du fauteuil du mari handicapé).

Retour de la lutte des classes. Imaginer d’autre solution pour qu’il y ait autre chose que des dominants et des dominés ? pose-t-elle la question.
Il y a toujours eu des dominants et des dominés, répond-il.
Et ils se disputent, le moteur du mari et elle, lady C.
Depuis que le monde est monde, dit-il. Transformer le monde, dit-elle.
L’amour. L’amant. La vie dans l’interstice de la chuchoterie.

Je suis obligée d’aller au-delà des images, sinon elles me tuent.
Les images appellent des images en moi qui me terrassent, c’est pourquoi je dois les arrêter et éclairer les pièces de diverses manières, écrire, dilapider quelque énergie.
Je dois allumer certaines lumières et pas d’autres.
J’ai disposé de nombreuses lampes un peu partout, j’en éclaire certaines et pas d’autres. Puis je change.

L’amant répare le moteur du mari : scène incroyable.
L’amant dit : vous n’avez pas assez de puissance, alors que le mari s’obstine à.
Le mari veut humilier ; fort ; puissamment.
La femme et l’amant poussent la voiture du mari handicapé.
Je suis obligée de répéter les images, de les paraphraser.

Deux êtres se retrouvent dans la nuit.
Je n’avais jamais pensé que le jardinier était une figure idéale de l’amour. L’amour dans la terre, oui, dans les feuilles, dans les fourrés.

Rien d’essentiel ni de nécessaire ne vient.
Je ne suis pas inspirée mais traversée. Pas concentrée mais mélangée.
J’ai allumé ma terrasse, ça ne sert à rien, j’aime voir cet éclairage.
J’ai vaguement conscience d’aller contre les recommandations d’économie officielles.
La lumière composée par la diversité des sources lumineuses et le jeu des ombres et lumières, dans la pièce, dans le couloir, dans l’autre pièce, et dans leurs prolongements extérieurs, cette lumière générale m’enveloppe.

Quel est le sort de la pulsion une fois consommée un nombre incalculable de fois ? Ce qui fait le prix de l’attachement n’est-il pas le contrepoint de la pulsion, sa tuerie, son apaisement subit, son effacement, son extinction ?

J’éteins la terrasse ; il y a toujours une heure pour éteindre, où il faut éteindre.
Comme la pulsion : elle doit s’éteindre.
Le destin de la pulsion est de s’éteindre, soit parce qu’elle gêne, soit parce qu’elle fait peur, soit parce qu’elle menace l’ordre social.
C’est la nuit.
L’amour est en question un peu partout. De sa disparition il est question.

                                                                                 Laetitia de Chocqueuse, journal ”l’Emanticipation”, 2022

Fragments d’une femme de 50 ans

15 juin 2007.
Rien ne se passe.

Je rôde comme un âme en peine.
Mais je ne suis pas en peine.
Je suis une surface blanche. J’écris mal.
C’était le final de la 17e de Beethoven.
Ça me fait ni chaud ni froid. Rien ne me fait rien.
Je suis comme un automate.

Je ne tiens plus aucune matière.
Tout est mou dans ma langue écrite.
Je ne sombre nulle part, ne glisse nulle part, je n’ai pas d’amour et pas d’idée sur ce que c’est.

Il n’y a plus rien que le jour qui se fond dans les arbres.
De gros pelotons de nuages caressent l’horizon tandis que les lumières du stade brillent et interrogent quelque troupe suspecte de garçons prêts à en découdre avec la troupe d’en face.
J’aurais voulu retrouver une vieille pop, Hendrix ou un autre, j’ai pas les noms, tout est parti, le bébé avec l’eau du bain.

Je ne tiens pas la distance, les mots qui se succèdent me fatiguent vite, une lettre à la fois, à la limite c’est jouable. D’écrire.
J’ai dû ralentir mon rythme.
Je ne me prends plus pour personne d’autre.
Je suis en panne d’idée de soi.

Je me retire, me reclus.
Je préfèrerais ne pas, même pas, autre chose.
Je ne sais pas s’il s’agit d’une souffrance.
Peut-être d’une extase, une sorte d’extase, un hors-soi, une vieillerie.

Je ne comprends plus lire. Je ne comprends plus écrire.
Je poursuis comme une vieille mécanique.
Seul le vélo me calme. Mais je ne peux pas faire du vélo sans cesse, sortir sans cesse, plus l’énergie.
Je pressens des vieux jours bizarres à me demander encore et encore ce que je fabrique.
Et là ce sera pire, je ne pourrai même plus faire de vélo.
Je ne serai plus portée par mes jambes.

Je vois bien que je m’arrête sur rien. Je me dis.
Je ne sais pas ce que j’ai, au sens de mes possessions, de ce que je possède.
Je suis là, je me pose et j’oublie.
Je mène une vie, comme on dit, je mène ma vie, ma vie me mène, ça peut largement s’intervertir.

Je fais ce que j’ai à faire.
Je ne trouve pas, ou très peu, ce que j’ai à dire.
Ici, c’est vide, je ne sais pas comment ça va se transformer.
Je m’en fous : que les choses soient à leur place, rangées.
Après moi, je me range dedans et je passe plusieurs années.

Ce qui est dangereux maintenant, c’est que j’ai eu cinquante ans.
Je n’ai plus tant de temps que ça à me prélasser dans le vide environnant. C’est pourtant ce que je préfère.
Rester plantée. Me planter là et rien.

Je range quelques objets, mes livres, et je peux rester là.
J’ai pas d’idée d’amélioration, une fois que les choses sont rangées, je les laisse, je remets les choses droites, c’est tout.
Faut que ce soit droit, le reste je m’en fous.
Je me rends compte que je m’attache à rien, pas aux mots, pas aux numéros des sonates, à rien.
Je suis posée là.

Un jour, j’ai fini par écrire un livre, il me semble. Peut-être.
Je me demande encore comment j’ai fait, pour choisir tous ces mots et les aligner, me relire et opter, celui-là oui, celui-là, non.
J’avais inventé un personnage dans lequel je m’étais coulée, qui m’allait.

Ca y est, Beethoven commence à m’énerver.
J’ai allumé la terrasse, dehors on ne voit rien que le serpentin d’arrosage bleu et la table en résine blanche, deux chaises autour, quelque fleurs jaunes qui tendent leur museau en dehors des bacs comme si elles voulaient raconter quelque chose.

Je m’ennuie à me relire, faudrait que je donne ça à faire à quelqu’un, comme le ménage, faire le ménage de ce que j’écris, des fautes de frappe.
Je voudrais ne jamais me relire, que ça passe directement au correcteur de la matière, tous ces mots qui s’accumulent dans l’espoir fou de me retenir à eux, lettre après lettre.
Les mots entiers, il y en a trop pour que je les lise, je n’ai plus lu de mots entiers depuis longtemps.
Je ne veux pas me relire, je déteste ce type d’écriture, une écriture laxiste, communiste, larvaire.

Longtemps je n’ai pas pu écrire. Du tout.
C’est ça, peut-être que je me rattrape.
Aucune hypothèse n’est meilleure qu’une autre.
Je ne saurais pas trancher.

Je laisse la lumière allumée sur la terrasse.

                                                                                                             Raoul Hausmann, Mechanischer Kopf, 1919

(texte mort / blanc / mort)

 

 

il s’agirait d’une circonstance exceptionnelle
qui se serait dissoute dans le blanc

(le blanc s’il y a une couleur,
à peine le blanc
même pas le blanc)

empruntée par une déesse du matin
vêtue de blanc, l’allée cimentée,
déesse en allée & chevilles ailées

or la circonstance exceptionnelle durait
distanciant ses pluriels assis et médiocres

(le blanc, s’il y a une couleur
presque le blanc
un peu de gris)

la déesse du matin se mouillait les pieds
vêtue de blanc, elle allait, gaie & déterminée
saluer une tourterelle histrionique

à circonstance exceptionnelle,
harangue solennelle dédiée à la singularité

(le blanc s’il y a une couleur
l’au-delà du blanc,
sa rumeur réelle)

de ce matin renouvelé, la déesse pédestre
ne se lassait pas, & dans l’allée cimentée,
vêtue de blanc, dispensait à l’univers ses gestes lents.

Oui certes, la poésie peut s’élever ou s’abaisser jusqu’à la politique,
mais rarement à la politique de circonstance.
Lamartine, Correspondance, 1830.

falbalas inhabitables & surprenants

 

le sens et l’ordre des mots
le sens et l’ordre du temps
l’ordre des choses et leur sens

le sens des plumes et des fleurs
le sens des roses et des jonquilles
le sens de la ligne droite

l’ordre des beautés insignifiantes
le sens des choses laides
le fard des vieilles dames

le silence et son écho
le silence inexistant
le silence qui criaille ou aboie

le sens et l’ordre des mots
l’ordre des mots
le sens de l’ordre.

[un renard bicolore et très intelligent, m’attendait sur une petite route,
et c’est au dernier moment qu’il a disparu dans les fourrés,
non sans m’avoir profondément interrogée de son regard de renard
– une seule lettre d’écart -]

                                                                      ……de quoi fabriquer une langue……

 

:><: petits chiffons personnalisés :><:

 

 

quand il pleuvra ce sera terrible

ce ciel

et le paysage défilait et ils ne sortaient pas de l’autoroute
et l’autoroute coûtait cher encore plus cher

ce ciel

nullement regardé dans cette conversation très vivante

ce ciel

et jamais l’orage annoncé non jamais décidément

ce ciel

et les morts dont ils parlaient ne reviendraient pas

ce ciel

et il serait là menaçant à tout jamais sans tonner

ce ciel

quand toutes les fleurs auront fané

ce ciel

qu’aurait-elle dit ? quand il pleuvra ce sera terrible ?