bonus inédit de L’homme en bleu

 

 

Un jour ils ont mangé ensemble dans une grande ville de province. Enfin, un soir, dans une rue piétonne. Ça a quelque chose d’anodin, la rue piétonne, et pourtant, ça peut être très agressif. On s’imagine les piétons pensifs devant les cartes de restaurants, les lumières douces, les corps se frôlant, avec ou sans intentions. Pourtant. Toutes les haines accumulées entre les êtres proches pourraient faire fonctionner toutes les ampoules des vieilles villes durant des siècles.
Bref, ils se sont attablés, eux aussi, dans les lumières douces, en terrasse, avec beaucoup de politesse, s’apprêtant à passer un bon moment. Et déguster les spécialités locales, comme il se doit, ce qu’il ne faut jamais faire en pleine lumière, soit dit en passant.

Leur conversation, comme fréquemment conversation entre un homme et une femme, avait mis l’amour, quelque part entre l’entrée et la spécialité locale, sous la forme d’un panégyrique de la monogamie. L’homme en bleu en guidait le cours, détenant une certitude affirmée, pratiquement suprématiste, sur l’inutilité de chercher plus loin ce que l’on avait chez soi. La perspective de la femme en animal domestique à laquelle l’homme vouerait un culte définitif n’était pas sans lui déplaire, bien qu’un tout petit peu mortifère.

[brouillon inutilisé de L’homme en bleu,
lu à la galerie Olivier Nouvellet le 5 janvier 2023,
lors de la signature du livre, avec exposition
des dessins originaux de Laurence Garnesson
– voir page :: et ailleurs ::
]

 

« je ne connais que mon esprit »

 

 

je ne connais que mon esprit
fut une phrase loufoque
qui n’exista pas
ou dont l’existence serait remise en cause
(suspecte ?)
partie des hauteurs de Grenade
flottant sur les sommets enneigés

je ne connais que mon esprit
aurait une fin
/ dérivatif lambda /
longeant des plaines embrumées
au loin desquelles leurs silhouettes de pierre
se laissent deviner
avancée lente, sans panache

je ne connais que mon esprit
petit animal flétri
inconnaissable et rébarbatif
dans le silence et la réprobation
effeuille ses possibilités
au vent sournois
qui disperserait ses cendres

[rythme : mat, syncope des voix,
hauteurs, quelque chose d’appuyé,
d’insistant
nom propre
chiffre 32
division en minutes
cuisson, énergie disponible, etc. ]

             Evidence, Soundwalk Collective & Patti Smith, Centre Pompidou, 20 oct. 2022 – 6 mars 2023

 

Lorem ipsum au bain

 

 

 

Elle prit un bain. Elle réfléchissait. Fit onduler l’intégralité de son corps pour répartir la chaleur de l’eau. Regarda le ciel crayeux / de plomb. Situation.

Dans la baignoire. Un moment / des mouvements. C’est dimanche. Elle se baigne le dimanche. Il fait gris. Ses cheveux aussi.

Oui, ils parlaient, ils dialoguaient. Ils étaient ils, et personne ne les en dissuaderait. Seul un autre s’inquiétait : qui étaient-ils ?

Il aurait fallu beaucoup de mouvements, qu’elle n’était plus disposée à effectuer, et cela, malgré une nette inclinaison à l’agitation.

Elle refit trembler l’eau. Rajouta du très chaud sous les fesses. Remua pour le répartir. Une sorte de nirvana. Le bien ultime.

Celui qui s’inquiétait lisait non loin, dans une autre maison. Les cavaliers / guerriers traversaient la plaine au galop. Aucune chaleur nulle part.

Le gris compact permet la perte, distingue la possibilité du fugace. Ils se tairaient parfois. Des silhouettes / derrière le blanc de Meudon.

D’r Hans im Schnòckeloch hät àlles wàs er will !
Un wàs er hät, dess will er nit,
Un wàs er will, dess hät er nit.
D’r Hans im Schnòckeloch hät àlles wàs er will !

Il y aurait Hans et les autres, dans le petit bois. Ce serait eux, ils. Des enfants chantant près du ruisseau, avec les rats.

Le long mur aussi, qu’elle longeait : un motif récurrent / un motif d’inquiétude. Le moment et celui d’après. Sa propre ombre d’enfant.

Image aléatoire proposée par l’intelligence artificielle DALL.E OpenAI
à partir des trois phrases précédentes.
(voir aussi Giorgio de Chirico, Mystère et mélancolie d’une rue, 1914)

Une porte poussée, le détail d’un jardin peu entretenu, ce qu’on peut voir dès qu’on pousse un portail et qu’on met un pied là où on ne devrait pas.

Silence. Clapotis de l’eau, elle fait à nouveau couler un peu d’eau, très chaude, à distance de ses chevilles, la fait remonter vers ses reins.

Dans la découpe de la fenêtre de toit, son regard n’atteint rien, ne touche rien. Le ciel monochrome s’abstrait, elle n’a pas besoin de lui.

Une attente inquiète dans le moment d’après. Les enfants ont disparu. Elle entend la comptine résonner sur la scène du monde entier.

On se demande encore qui ils sont. Lui se le demande, non loin dans une autre maison, comme s’il n’était pas non plus une complication.

N’être jamais que le pronom de quelqu’un. Elle se laisse glisser sous l’eau. Des gens sérieux hantent les couloirs. D’autres en uniformes s’entretuent.

*

Le temps horizontal se répartit, flotte : on craint de ne pas comprendre.
Ce qu’il a il n’en veut pas, ce qu’il veut il ne l’a pas…

Donatienne à l’heure de la sortie 

 

les années 80, tout est riche, les années 70 tout était pauvre,
Donatienne veut faire de l’argent, c’est une décision,
être pauvre n’a aucun intérêt
  Bataille, la dépense, le potlatch, l’argent –

le camion arrive dans la cour du Centre d’études,

un type pas mal en sort, 

J. arrive dans la cour avec quelques dossiers sous le bras, flanquée d’une assistante, elle s’en va, elle a fait sa journée, elle repart

…mais elle monte à cette longue tige jaune robuste, engin de levage apposé contre un mur, installé par le type, pour dévisser des boulons, avec cette autre femme, hiérarchiquement moins importante qu’elle

l’engin est sale, visqueux, les boulons enduits de pétrole, 

Donatienne dans la cour pense que J. va se salir, 

J. veut essayer le travail manuel, après tout pourquoi pas, a-t-elle coutume de dire

(J. a une écriture tellement grande qu’elle dépense des quantités de feuilles de papier pour très peu écrire, et rature à souhait)

T. arrive, échevelé, en veste claire, dans les tons gris, il a oublié un synthé alors qu’il partent en concert, comme d’habitude, il oublie toujours quelque chose, un comparse l’accompagne, un autre musicien

un autre type assis profite de la lumière de 17h pour photographier son amie, c’est une Chinoise, la lumière d’un support spécifique posé sur la table, bleu profond, se reflètera sur son visage

Donatienne reste là, jusqu’à quand, rien ne l’indique

le type arrivé en camion avec l’engin de levage est assez beau

J. demande en partant, elle crie à Donatienne : tu viens ? 

Donatienne ne viendra pas, elle reste là, sans but précis, peut-être repartir en camion avec le type assez beau ?

J. est morte mais aucune importance, elle grimpe à la tige, grue mobile, engin de levage, toujours cramponnée à ses dossiers, pour dévisser des boulons visqueux enduits de pétrole…

une gouttière sur la façade…

 

signe de l’infini au lieu des points d’indécision
(pourquoi comment quand oublier le piano)

il y a le feu
le feu est dans la cheminée
le feu heureux le feu statistique
le feu qui démange le dos le feu abrupt

une gouttière ou pas
sur la façade au milieu une descente

des points d’indécision
aux moments stratégiques de tendre le bras

dans l’encre bleu mystère
se gorger de passé simple & composé

la stabilité des objets la chérir
comme le goût du persil sur le brocoli

une gouttière ou pas sur la façade
des points d’indécision à l’infini ce serait fini (?)

4 « à l’instant » du 16 novembre 2012

 

 

ce grand moment de libération
ce grand moment
ce moment
à propos duquel
à propos duquel je dis quelque chose
à propos duquel je m’interroge
à propos duquel je garde une circonspection
ce grand moment de libération
certain mais pas sûr
ce moment-là
à ce moment-là
s’effectue une danse particulière
du signifiant,
une danse du moment
une danse à propos de laquelle
le moment se ramasse
en une volute de sens
à ce moment du moment
la libération est effective mais pas sûre

 

****

 

y a un truc faut qu’j’y aille
faut que j’y aille chuis pressé
y a un truc faut qu’j’y aille
là tout d’suite tout d’suite
ça peut pas attendre
rien peut attendre
rien attend faut qu’j’y aille
faut qu’je
faut qu’je
faut’qu’j’y aille y a un truc
c’est là c’est là c’est là
c’est là c’est un truc
c’est un truc’faut’qu
c’est une course de trait
un cheval de trait
un trait de couleur
un trait comme un truc
que faut qu’j’y aille qui jaillit
du jadis
que je creuse, malheureux

 

****

 

oui mais si mais si
oui mais ne pas si
oui mais parce que si
oui mais s’il faut toujours faut-il
faut-il en croire
faut-il en savoir
faut-il en comprendre
oui mais non parce que si
prendre avec si oui, oui, avec si,
s’y prendre avec si, faut-il ne pas comprendre
si rétréci si rétréci qu’il faille
ne pas comprendre
mais si mais oui

 

****

 

bah il a fallu s’extraire
des caractères
des cuissons
des problèmes
des poussières
s’extraire des nécessités c’est très compliqué
s’extraire des dedans
s’extraire des compliqués
des piqués des piquants
s’extraire du revenu revenu
s’extraire des issues
des issues cuites
des issues recuites
des cuissons des problèmes
des poussières des prétextes
bah il a fallu s’extraire des

waiting for my man
s’extraire des waiting
s’extraire des issues sues
des issues sues et puis et puis
des caractères des problèmes
des cuissons des poussières
des prétextes des revenus
des cuissons : il a fallu, bah