(miettes de proximité I, II & III)

n’embellir pas le passé


que faire d’un stéréoscope et de trois fiers chameaux dans le désert

entre stéréoscope et situationniste

mon coeur ne balance pas, il reste à côté d’eux

 

quelquefois le verbe vient


au milieu de tous les verbes c’est celui-ci qui vient

celui-ci dans une forêt opaque et inexacte de verbes

disséminés dans dix pages, puis celui-ci vient, seul

 

1927 un commissaire parle à un suspect


Vous êtes seul au monde, mais oui, et moi,

malgré ma famille, mes amis, je suis, comme vous, seul également.

Nous sommes tous des isolés.


[Emmanuel Bove, La dernière nuit, 1927]

perspective venteuse :::::

1.
ils ont fini par ralentir les choses
tout allait trop vite
ils ne savaient pas comment faire
ils ont ralenti par coercition.

2.
la méthode employée
n’était pas la bonne
ils n’avaient pas tellement de méthode
on a de la méthode ou on n’en a pas.

3.
l’usage des adverbes de modalisation
est une facilité
à laquelle vous devrez renoncer
regardez plutôt devant vous.

4.
la coercition des foules
est très facile à réaliser
prenez un papier
cochez les cases.

5.
devant il n’y a pas de demain
demain n’est que du vent
ça dépend de vous
ça dépend des jours.

6.
ils ne savaient pas comment faire
c’était très vague
les choses devant eux
devaient être tranchées.

7.
demain n’est pas que du vent
si la méthode suit
si la méthode précède
si la méthode est établie.

8.
hum.
pas tellement.
plutôt.
si.

:: trop de lamento dans l’ouïe ::::

quand c’est parti : un rien, une note, un rayon
quelque chose de l’infinitésimale modification
de la lumière et de l’étant

une approche majeure du retomber sur ses pieds
que seule procure l’avancée de la partition
suivie par l’instrumentiste

et les accents, et les attentes, les soupirs,
l’immense joie du suspens, quand suspendues
les notes, les rayons

diviseront les éclats du temps, parce que
n’est-ce pas, quoi d’autre que le temps,
quoi de plus explicite ?

si insupportable dans sa nappe intégrale,
son manteau lisse, qu’il faille le déchirer
et le disséminer, encore.

de nombreux bains eurent lieu

un bain puis un autre puis encore un autre
et de nombreux bains avec des jambes au bord de l’eau
des jambes traînant dans l’eau, des jambes flirtant avec l’eau
des jambes dévêtues, des jambes nues,
des morceaux de jambes, les assis secouant leurs
morceaux de jambes avant de prendre ou de ne pas prendre
un bain

de nombreux bains eurent lieu, un bain puis un autre,
sous le ciel, au bord de l’eau, de la terre et de la pierre,
et ces jambes remuant dans l’eau, ces morceaux de jambes
des assis

les assis au bord de l’eau remuent leurs jambes à partir des genoux,
leurs jambes remuent dans le même sens, et parfois les cheveux
avec les jambes remuent dans des sens opposés

il y eut de nombreux bains, l’été, au bord des retenues d’eau
des marches en pierre, des accès dans des mélèzes
et à terre des pignes tombées, et des odeurs de pins
et des chiens errant dans les odeurs,
des chiens sachant plus que d’autres les odeurs
grâce à leur truffe et pissant contre certains arbres
soigneusement choisis

les bains au bord de l’eau, les demi-jambes
à partir des genoux dans un seul sens, les mélèzes
un peu malades, les chiens pistant les odeurs

et enfin les rires très forts des cheveux dans l’autre sens
grâce aux bains qui eurent lieu, et encore, sans jamais
s’arrêter.

La chaleur / les phrases (carnet de nuit)

Ce qui me frappa en 1963 : la chaleur. Immédiatement. Brutalement. La chaleur. Ma peur de ne pas pouvoir m’échapper de la chaleur. La préfiguration du réchauffement climatique. Il ferait chaud à vie. On ne pourrait pas se rafraîchir jamais. Il n’y aurait pas de solution. La chaleur m’écrasant (la chaleur écrasante), qui ferait qu’on resterait dans les maisons. La chaleur donnait ses ordres, imposait un rythme : sortir avant telle heure, après telle heure. La piscine municipale tint un rôle important. Et la natation, en compétition.

Les phrases sortaient toutes armées de ma tête. Durant toutes ces années de travail, les phrases sortaient toutes armées de ma tête. Je n’avais que très peu besoin de refaire, raturer, les phrases venaient s’établir sur le papier, & plus tard, sur le fichier. Les phrases s’enchaînaient comme avec une chaîne invisible (la logique). Souvent c’était le matin : elles sortaient sous l’eau de la douche. La logique possédait un avant et un après qui imposait l’ordre des phrases. Et à l’intérieur des phrases, l’ordre des segments de phrases. Et à l’intérieur des segments de phrases, l’ordre des mots.

La torpeur des après-midi de laquelle il était difficile de s’extirper imposait l’existence forte des matins marqués par la fraîcheur, le possible, l’ordre vif en action.
Plus tard, les phrases se positionnant en action, toutes armées. En ordre de bataille.
La bataille pour la vie, contre la chaleur, contre l’écrasement. L’eau nécessaire.

et puis rien, j’efface tout (prose)

1

la timidité la gagnant à mesure que les années s’accumulaient,
le saut proposé par l’inscription au registre de la vie d’ailleurs
lui paraissait de plus en plus inaccessible.

2

Elle se résolut à remettre des marques de respect partout où
elle les avait ôtées. Elle n’en menait pas large. Elle décida du port
d’adjectifs anciens qu’un souffle ne ferait pas disparaître.

3

et fit l’impasse sur la symétrie nécessaire,
bien que cela
lui en coûtât

4

pourtant, rien ne la prédisposait à ces écarts, elle en avait oublié
les règles ; l’oubli s’appuie sur l’absurde : ils font bon ménage

5

Tandis qu’elle rectifiait encore quelque position non conforme,
se produisaient d’autres modifications rapides, qu’elle ne
pouvait contenir : elle eût aimé être surprise, oh oui !

6

se fanaient les fleurs
un peu ivres, les compagnons
meurent lorsqu’ils peuvent. Enfin.