…chose la plus immatérielle… qui soit

 

 

de l’eau au jardin il en faudrait –
le son d’une goutte sur le grès dans la nuit
la vue diurne sur la lisière du toit
au-dessus du mur de brique rafistolé

de l’eau au jardin le son rassurant
des fontaines andalouses
entre dans la profondeur d’un seul mot
qui entre ? et qui entrera ?

parce que c’est impossible à dire
existent, flottants, ces mots
existent, particulières, ces percussions
encore impossibles, ces couleurs

le geste de jongler d’une main
avec des oranges volées
& le rire qui vole aussi loin
vers les buttes hautes…

j’ai demandé à Dall.e des images pour ce titre,
…chose la plus immatérielle… qui soit

une fois que j’avais vu la variation qui me plaisait, l’original me parut de plus en plus fade

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

perforation autre que le trou

 

sous-titre :
fantaisie pour un trou

 

le tore est un trou, disait-il, ce scientifique, pour minimiser Lacan
= comment le mépris agit, du scientifique envers le psychanalyste,
et en même temps comment le surréalisme les a unis dans cette période
(années 30 grosso modo, et ensuite jusqu’à 50)

le mépris, une belle figure qui tient les humains ensemble,
les uns par rapport aux autres,
le mépris du scientifique (la réalité existe, je l’observe)
par rapport au trou du réel (n’existe pas, je l’invente)

les livres sont aussi des trous
il y a un gardien des livres, qui les nettoie,
les lave avec un savon spécial, les classe, les range,

dans la pièce, le gardien des livres considère les livres à classer,
à remettre dans un ordre, choisir un ordre,
alphabétique, par domaine, arts, musique, romans, etc.
c’est moche, sachant qu’aucun ordre n’est le bon

prenons une machine à coudre
prenons une mitraillette
prenons une perforeuse
et perforons des trou-trous !

on comprend rien à ce que vous dites, Madame !
ça tombe bien, moi non plus.

                                                                                                     tombe ancienne à l’abandon

 

 

l’espace l’enthousiasme / siasma

 

 

la fleur rouge vermillon
vermillon !
seule en bas du petit rosier le plus petit !
vermillon tenace, têtue !

(les) questions (sont) hétérogènes
(il est bon de) les poser
– sur l’étagère ? –

vermillon —> verbe vermillonner
stupeur & chatoiement
transitif taffetas bruissant

le vieux chant du vermillon
– pigment de cinabre –
colore le sang le plus frais
de la rose tenace

un calcul de centimètres
permet d’exactement caler
l’objet rare dessus l’étagère

comment (ne pas) se poser la question
lorsqu’elle est mal placée ?
—> arranger l’étagère

la question tenace dura
comme une rose vermillon
la plus petite seule en bas, étonnante.

                  « A french man in New York » de Stéphane Kossmann (Exposition de photographies, Fondation Carzou, Manosque, été 2023)

 

• liste triste sans émotion avec moteur

 

 

 

il n’y a rien nulle part
il n’y a pas de nulle part
on se réfugie ailleurs
l’ailleurs se dérobe
le rien résolu demeure
on le regarde en face
on le nargue
le rien donne le change
avec ses lunettes de soleil
attablé en terrasse
le rien se pavane
le rien nulle part est un faux
il n’y a pas de nulle part
le rien se contredit
derrière lui un autre rien ricane
on ne sait plus lequel est le vrai
on coupe les phrases à la hache
on en dissèque les cadavres
on cherche l’adverbe manquant

 

quand soudain une moto vrombit.

Peinture murale : figure féminine, vers 100-150 ap. J.-C.  (provenance : environs de Rome)

< des conditions ordinaires >

 

 

en d’autres langues
s’entrechoquent
tant de personnages

 

cueille des mûres mûres
le long du chemin
sa bouche en sera noire

sac au bout du bras
jettera ses bouteilles
dans le conteneur adéquat

 

tant de personnages
au pied de leur mur
n’imaginent pas d’autre vie

catapulte des siècles
ombres encore portées
sur ces vieux pays frottés

 

marche en ballerines
comme une comtesse
l’herbe à peine foulée

marche sans but
dans le village mort
s’assoit au cimetière

la plaine vers la rivière
comme un décor
ou une chute.

                                                                                                                                                     – Ford Mustang 1966 –

 

 

« toutes proportions gardées »

 

 

comment se souvenir de ce qu’on dit
de ce qu’on fait ?
comment se souvenir ?
comment se souvenir des mots
des choses qui sont derrière les mots ?
des gens qui habitent les mots ?

comment se souvenir des mots ?

il fut question du temps
il y avait même des réserves de mots
des caves entières
des grimoires et des locuteurs
et du temps
un mot si lointain si imprécis si fragile

on retrouva même la page où il apparut :

Le temps, dit-il dans le cabinet aux étoiles de Greenwich, le temps était de toutes nos inventions de loin la plus artificielle et, lié aux étoiles tournant autour de leur axe, il n’était pas moins arbitraire que s’il eût été calculé à partir des cernes de croissance des arbres ou de la durée que met un calcaire à se désagréger ; sans compter que le jour solaire auquel nous nous référions ne fournissait pas de repère précis et que pour mesurer le temps il nous fallait avoir recours à un soleil moyen, imaginaire, dont la vitesse de déplacement ne varierait pas et qui dans son orbite ne serait pas incliné vers l’équateur.*

il y avait bien trop de mots
et certains étaient soulignés
et dans la marge était inscrit « le temps »
comme une fébrile redondance
une périlleuse extraction du jus du sens
et il fut préférable d’inscrire
« toutes proportions gardées » à la place
et ce fut fait.

* W.G. Sebald, Austerlitz, traduit de l’allemand par Patrick Charbonneau, Actes Sud, 2002