Canicule, petite chienne.

 

[octobre 2005 – l’histoire bégaie -]

Nous allons fondre, disent les responsables. A ce degré près – ils donnent un degré -, c’est la fusion.

Les ordinateurs d’abord, les femmes et les enfants ensuite. Les recommandations sont précises et ordonnées. Nous devrions pouvoir les suivre, elles comportent, outre les classiques chiffres croissants, des nuances de couleurs. Les alertes deviennent colorées, n’importe quelle alerte se colore. Une alerte ne peut pas en tant que telle rester telle. Des couleurs sont inventées afin de répondre aux besoins des populations devant être calmées. Il faut frapper les esprits avant la combustion définitive, redéfinir les mots, voilà leur solution.

La redéfinition des mots se poursuit. Beaucoup trop de mots pour dire, décrètent les autorités, il faut réduire drastiquement les effectifs, observer les mouvements d’indépendance, rester vigilants devant les sens surnuméraires. Il faut que la circulation du sens reste univoque, qu’à vert, on passe, qu’à orange on hésite, qu’à rouge on s’arrête, et enfin qu’à aubergine mûre on ignore définitivement ce qui pourrait advenir de nous.

Une très sommaire pensée colorée nous est donc imposée, sous forme de stades, de phases, pas plus de cinq, cinq est un grand grand maximum. Certains d’entre nous pensent que c’est un tournant, d’autres persistent à picoler joyeusement en se disant que l’avenir est encore devant, ou bien qu’à l’échéance fin de siècle nous serons morts, et alors on s’en bat les couilles. Et les enfants qui hurlent l’été, justement (leur joie de vivre) auront à ce moment cessé de le faire puisqu’il n’y aura plus de nécessité d’en faire, des enfants. C’est la fin de la reproduction de l’espèce, juste ça, que ça, la fin. Nous allons pouvoir exister encodés primaire (trois-quatre, cinq maximum, types de réactions). Nous nous réduisons à la cuisson, nous allons au feu, nous cramons, nous cancérons d’inconnues pathologies, nous nous abîmons dans l’indicible torpeur de l’été durable.

Cela en peu de mots, cela, en traduction simultanée des grandes orientations économiques (le développement durable, nouvelle version du syntagme figé après le célèbre chemin de fer), en équivalence systémique, désormais terriblement systémique, entre les variations climatiques désormais de très grande amplitude, l’économie imprévisible, l’érotisme essouflé du productivisme performant, les pesticides, le terrorisme et les pandémies, et l’ennui, le très grand ennui des populations occidentales désormais privées de chemin de fer.

Des peuples meurent ; on découvre de nouvelles planètes. Extase.

Nous vaquons à nos occupations, un peu ralentis, suants et gluants, subordonnés mais suants. Nos cerveaux récupèrent difficilement de ces degrés supplémentaires que nous avons fabriqués au fil du temps, des siècles, la doxa des media nous l’indique à intervalles réguliers de sorte que nous ne l’oubliions pas. Le travail, particulièrement, devient pénible, n’importe quel travail. Cependant, les autorités continuent à dire qu’il faut travailler. Or, non seulement il n’y a plus assez de travail disponible, mais en outre la chaleur neutralise les mouvements productifs. Nous avons les pieds qui gonflent, par exemple, ainsi que les creux poplités.

Auteur/autrice : Édith Msika

Livres : Une théorie de l'attachement, P.O.L, 2002 / L'enfant fini, Cardère éditeur, 2016 / pipelette dancing, Editions louise bottu, 2022 / L'homme en bleu, Julien Nègre éditeur, 2022 / Introduction au sommeil de Beckett, Julien Nègre éditeur, 2023 / En robe orange, Julien Nègre éditeur, 2024 / Textes en revues papier : Les Moments Littéraires N° 53, janvier 2025, Olga n° 3 (2024), larevue* 2019, 2020, 2021, 2022, 2024, 2025, Revue Rue St Ambroise n° 45 (2020), TXT n°33 (2019), Jungle Juice #6 (2017), Inédits sur le web : Poesibao III, n°2, janvier 2025, Atelier des auteurs P.O.L, remue.net, libr-critique…

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