peu de choses

  1. écrire, c’est ne pas écrire, c’est principalement ne pas écrire
  2. écrire n’est pas un savoir : je ne sais pas écrire, je n’ai jamais su écrire
  3. écrire serait pour savoir pourquoi on écrit (mais le “on” reste insatisfaisant, autant de “on” que de “je” ; de même “savoir” est insatisfaisant)
  4. écrire est souvent insatisfaisant
  5. écrire présente une fâcheuse tendance à couper les cheveux en quatre
  6. écrire est souvent lourd
  7. écrire est surtout au mode conditionnel : serait ; écrire serait
  8. écrire n’est pas écrire des livres
  9. écrire, c’est ne pas pouvoir ne pas écrire, principalement 
  10. mais dans écrire il n’y a rien de principal : tout l’est
  11. dans cette principalité d’écrire, règnent de nombreux livres chéris, écrits par de nombreux qui écrivent, ou plutôt qui ont écrit de leur vivant, souvent ils sont morts depuis un bail
  12. peu nombreux ceux qui écrivent au sens d’écrire, en réalité, et il arrive qu’ils soient vivants
  13. écrire est une approximation pandémique
  14. écrire est souvent refuser d’écrire, refuser de raconter, refuser de se plier à la grande racontade généralisée
  15. écrire est/serait refuser de s’asseoir, ce qui complique la tâche
  16. écrire n’est pas une tâche, c’est pourquoi
  17. écrire debout est aussi une forme d’écrire
  18. écrire en mouvement n’est pas possible sauf à dicter ce qui n’est pas écrire ; comme écouter des livres n’est pas lire
  19. écrire est aussi une liste de préceptes dégoûtants comme tous les préceptes à l’indicatif
  20. écrire est aussi mettre des frontières entre ce qui est écrire et ce qui n’est pas écrire
  21. la mise en frontières dure généralement toute une vie, la sienne, bien qu’on (encore ce “on” insatisfaisant) n’ait absolument aucune visibilité sur elle
  22. écrire est donc aller à l’aveugle
  23. écrire n’est pas su immédiatement (instantanément)
  24. sauf avec l’arrivée d’internet : écrire se sait immédiatement (instantanément)
  25. mais alors ? risque de disparition d’écrire ?
  26. oui, risque de disparition majeur de la principalité d’écrire
  27. écrire est de l’ordre du renseignement : voir sans être vu, lire sans être lu, mystère et boule de gomme
  28. très souvent, écrire est écrire quelque chose
  29. écrire est intransitif, et ne devient transitif que par accident (cf. point 8)
  30. lorsqu’écrire est transitif par intention, comme dans “j’écris un livre”, c’est qu’il y a tentation d’apaiser l’inquiétude, le monde s’inquiète de la non-intention, de l’intransitivité (les relations sociales ordinaires se soutiennent d’un objet : cf. “chercher un travail” et non “chercher” tout court, “faire quelque chose” et pas “rien”, le “rien” n’étant malheureusement pas considéré comme un “quelque chose”)
  31. écrire : l’art de la juxtaposition, de l’ellipse : un changement : un tournant : un ultime touillage de la marmite pour y racler le fond : une obstination
  32. écrire peut désormais se passer d’un poste de pilotage ; la notion de bureau est en voie d’extinction, et avec l’ensemble des notions affines : bibliothèque, papiers, classer, manipuler
  33. écrire peut être un amusement, une corvée, une souffrance extrême mais pas une cocotte en papier ni un arc-en-ciel
  34. aussi bien écrire devient l’arc-en-ciel auquel s’arriment des milliers de cocottes en papier
  35. écrire n’est pas une preuve de l’existence
  36. écrire n’est pas non plus rien
  37. écrire suppose de beaucoup se promener
  38. écrire n’est pas pour autant une promenade

(à suivre, je vais me promener ; écrire est à suivre)