UN ROMAN DES JOURS RAPIDES – jour 8

jour 8 – Aucune joie n’est destinée à durer, pas plus une joie que tout autre sentiment. La carafe et le carafon (à la différence de la girafe et du girafon) n’ont pas de rapport de taille non plus que de filiation mais une différence de nature de contenu.

1994. Un petit homme frisé de la Méditerranée vient souvent s’asseoir à côté de VM. On ne sait pas bien à quoi il sert. On peut constater que les deux hommes, pourtant si dissemblables, se parlent beaucoup, et d’ailleurs, ils ont rendez-vous et souvent VM s’impatiente qu’il n’arrive pas à l’heure dite, mais il y a les impondérables.

2014. VM boit de l’eau minérale légèrement gazeuse. Devant lui, la transparence du verre et de la bouteille, le liquide transparent, sa main s’avançant pour se servir. A onze heures chaque matin, il se poste au coin de la terrasse, et là, installé devant un verre à pied et une carafe de vin, ne fait rien. Parfois, un napperon en intissé de couleur identique à celle du vin, une serviette de papier blanche, et un couvert soigneusement disposés, indiquent qu’il va manger. Mais pas toujours. Le verre à pied contient aujourd’hui de l’eau. Comme à l’accoutumée, VM ne fait rien qui soit identifiable, rien comme action reconnaissable. Il regarde devant lui, la rue, le trottoir, les gens, comme s’il ne les connaissait pas, comme s’ils ne les avaient jamais vus. Parce qu’il ne les a jamais vus.

À la petite table extérieure de l’angle formé par une vitre et la porte d’entrée, à l’abri du vent et globalement des intempéries, VM n’attend plus rien et a cessé de se répéter, sans plaisir mais sans angoisse. Son esprit cherche, et c’est là que ça commence puisqu’il n’y a plus rien à penser. Il se tient dans le silence. Langage ment. Vivre dans le désengagement ; se dégager du langage. A tout jamais, à tout hasard.

VM, longiligne et élégant (parfois portant des gants), cheveux gris abondants, ne semble pas s’ennuyer assis à sa table au coin de la terrasse du café en angle, dehors. La politique continue, même pendant le repas, mais il ne s’agit pas du repas, il s’agit de l’avant, du moment de onze heures (facteur, livraisons, réveil lent de la ville, étirements des façades, rayons timides les léchant en catimini).

Le petit homme frisé de la Méditerranée est mort il y a longtemps. Il venait et il écoutait VM avec affection. Il lui suffisait qu’il y ait affection avec vin, viande, variété. Dialogues s’ensuivaient sans aucune gêne, dialogues du vide plein. Le petit homme venait en bus de là-haut, parfois à pied à la belle saison, s’asseyait auprès de VM. Sa joie était réelle. Peut-être pas durable mais réelle.

 

Auteur/autrice : Édith Msika

Une théorie de l'attachement, P.O.L, 2002 / L'enfant fini, Cardère éditeur, 2016 / pipelette dancing, Editions louise bottu, 2022 / L'homme en bleu, Julien Nègre éditeur, 2022 / Introduction au sommeil de Beckett, Julien Nègre éditeur, 2023 / & textes dans des revues : larevue* 2019, 2020, 2021, 2022, Revue Rue St Ambroise (n° 45, 2020), TXT n°33 (2019), Jungle Juice (#6, 2017), + sur le web : Atelier des auteurs P.O.L, remue.net, libr-critique…

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