“la sécurité totale n’existe pas”

27 septembre 2001.

Au début.
On apprend qu’un type avec un nom de machine à laver aurait commandité cet(te) horreur/crime/monstruosité/action nihiliste (toutes les mentions peuvent être cochées). Le type est qualifié de terroriste. On n’a pas d’autre mot, mais il faut bien le désigner, puis le définir. Chacun s’en empare, d’abord du bout des lèvres, puis à pleine Bush.
Exposés à ce spectacle, on tente avec plus ou moins de bonheur de restaurer ses capacités pensantes, largement entamées par le spectacle de l’écroulement de « symboles de la puissance américaine », en direct.
Juste, il y a des gens dedans, dedans, à tous les étages, comme le gaz au début du siècle dernier. Douleur, évidemment. On ne se sent plus étanche, subitement.
C’est irreprésentable, comme la mort au demeurant.
On peut se surprendre à penser, toutefois, que la violence faite à certains peuples, peut-être…un retour des choses…l’arrogance des Etats-Unis…

Puis.
En bons enfants de la psychanalyse (sommaire), on nous dénoue les fils : le type a été enfant en Arabie Saoudite. Il est de bonne famille. Il a donc une famille. Puis il a été « répudié » (dixit certains media qui le confondent probablement avec une femme), déchu de sa nationalité.
Nourri au lait de l’Occident, on le voit apparaître baba cool en Suède dans les années 70 (ça fait vendre). On aurait pu le connaître, avant qu’il ne lave plus blanc. On est de la même génération. Voire on a le même âge.
W. parle de la lutte du Bien contre le Mal. Le nucléaire, c’est le Bien, Hiroshima, c’est le festival du Bien, l’Occident et ses visées conquérantes, c’est le Bien, l’obésité, c’est le Bien, l’american way of life, c’est le Bien, l’auto-destruction lente par infarctus et accidents coronariens, c’est le Bien…Le Mal repose sur un seul homme, un seul ! Forcément, il a fait un one shot. Pourquoi faire lent quand on peut faire rapide ?
Retour du refoulé (Freud, Statue de la Liberté en vue : j’apporte la peste…). Et de prier, prier, prier…pour éradiquer Satan incarné. Incrédulité devant cette nation qui n’a pas opéré la séparation de l’Eglise et de l’Etat. On se frotte les yeux.

Ensuite.
On s’informe dans le Monde (la télé continuant de cracher ses images abjectes, ses discours approximatifs, ça va beaucoup faire avancer le schmilblick). On découvre les failles des services secrets (en effet, ils ne se placent pas dans la tête des individus, pas encore), l’insuffisance d’empathie pour l’âme musulmane (mais ont-ils une âme ?), l’absence navrante de spécialistes parlant arabe.
On remonte à toute berzingue la suite des causalités, vite, vite. Les nations avancées s’autocritiquent. Mea culpa général.

Pendant ce temps, le chef de bande W. en appelle à la réponse musclée. Théorie d’images militaires, perspectives d’écrasement total de la bête immonde. W. lavera encore plus blanc, populations comprises. On ne peut pas se demander s’il a lu Sun Tzu, à l’évidence, non.

Enfin.
On inaugure le nouveau millénaire avec une découverte majeure : la sécurité totale n’existe pas. On redécouvre le risque supérieur à zéro, l’infini de la menace, la variole, pourquoi pas la peste bubonique ?, le démantèlement impossible de centrales nucléaires inactives, bref, la finitude, qu’on avait fini par oublier. On se refrotte les yeux.
Pendant ce temps, on continue à faire des enfants, on se reproduit pour perpétuer l’espèce. Le type au nom de machine à laver, lui, ne sait pas combien d’enfants il a. Nous, on sait : un ou deux, généralement, auxquels on tient comme à la prunelle de nos yeux, qu’on se refrotte, pour l’occasion. On ne peut pas les faire rerentrer dans nos utérus pour qu’ils y soient à l’abri, merde.
On est en face de deux types : un qui se cache, l’autre qui se montre. C’est un duel, on se dit que c’est ça. C’est où et quand le rendez-vous ? On se surprend à attendre que ça vienne, ça nous calmerait. On pourrait continuer à vaquer à nos occupations, réfléchir à pour qui on va voter aux présidentielles de 2002…En gros, c’est là qu’on s’était arrêté, juste avant.
On aimerait bien repasser le film à l’envers, en remonter les rushes autrement, couper certains plans. Cette option n’est pas disponible. Une erreur-système de niveau X est intervenue. Veuillez redémarrer votre machine.

Épilogue.
15 octobre 2001. Le duel n’a pas encore eu lieu. Les rumeurs enflent. O.B.L. n’a jamais été en Suède, c’était son frère. L’anthrax bat son plein. Va falloir songer à vacciner les enfants contre la variole. Et c’est bientôt le mois du blanc.

                           Design Week Paris 2021, Hôtel La Louisiane, Room 15, Maison Verrsen (détail).

Auteur/autrice : Édith Msika

Une théorie de l'attachement, P.O.L, 2002 / L'enfant fini, Cardère éditeur, 2016 / pipelette dancing, Editions louise bottu, 2022 / L'homme en bleu, Julien Nègre éditeur, 2022 / Introduction au sommeil de Beckett, Julien Nègre éditeur, 2023 / & textes dans des revues : larevue* 2019, 2020, 2021, 2022, Revue Rue St Ambroise (n° 45, 2020), TXT n°33 (2019), Jungle Juice (#6, 2017), + sur le web : Atelier des auteurs P.O.L, remue.net, libr-critique…

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